Rencontre : Reda Kateb

//Rencontre : Reda Kateb

Rencontre : Reda Kateb

Par MAB

Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, alors que les manifestations s’enchaînent contre la loi Devaquet, Malik Oussekine, jeune étudiant sortant d’une boite de jazz, est battu à mort par trois « voltigeurs » ces policiers à moto supposés entrer dans les manifs pour les disperser. Charles Pasqua, ministre de l’intérieur, veut étouffer l’affaire. D’autant que la même nuit, Abdel Benyahia, autre français d’origine algérienne, est, lui aussi, victime des forces de l’ordre… Rachid Bouchareb  continue avec « Nos frangins» d’explorer les pages sombres de la France post colonialeReda Kateb,  dans le rôle du frère de Malik, y prouve, une fois encore, son engagement et son humanisme. Voici ce qu’il nous disait du film à Cannes 2022, où il était montré hors compétition.

Vous interprétez le frère de Malik Oussekine, avez-vous rencontré sa famille ?

Je n’en ai pas eu l’occasion. Je crois que Rachid (Bouchareb, le réalisateur ) a parlé avec sa sœur. Je pense qu’il est inutile d’aller gratter une mémoire douloureuse. D’autant qu’il y a eu aussi une série sur ce sujet produite par « Disney+ ». Et beaucoup de commémorations…

Pourquoi avoir accepté ce rôle ?

En tant qu’acteur d’origine algérienne j’ai la volonté de faire partie de tous les projets qui comblent les lacunes de notre histoire. Je me souviens très bien de cette bavure. J’avais neuf ans. Ma mère m’a entraîné à la marche blanche qui a suivi la mort de Malik. Au début, c’était digne et silencieux. Puis il y eut des heurts et des gaz lacrymogène, j’ai eu peur… Le projet Devaquet fut retiré le 8 décembre. Deux des trois policiers furent condamnés mais ne firent pas de prison ferme…

Pourquoi la mort de Malik fut- elle médiatisée et pas celle d’Abdel, tué lui aussi , la même nuit, par un policier en état d’ivresse… ?

La volonté de « Nos frangins » était justement de montrer que le destin de ces deux jeunes hommes fut le même. Mais que ni le gouvernement, ni la presse de l’époque ne leur donnèrent le même retentissement. Les polémiques autour de la mort d’Oussekine ayant effacé dans beaucoup de mémoire, la tragédie dont fut victime Abdel. (ndlr : il semblerait que la famille Benyahia ne se retrouve pas dans la vision soumise et silencieuse que Bouchareb donne d’elle )

Ce qui s’est passé en 1986, peut-il être transposé aujourd’hui ?

On retrouve toujours le même mécanisme qui consiste à faire passer des victimes pour des coupables. Robert Pandraud alors ministre chargé de la sécurité, disait à propos d’Oussekine souffrant d’insuffisance rénale « si j’avais un fils sous dialyse, je l’empecherais de faire le con dans la nuit ». Or on sait que la mort de Malik a été causée par un coup de matraque derrière la tête. Regardez ce qui s’est passé avec George Floyd aux États-Unis ! Dans le public parfois les spectateurs nous disent qu’ils ont peur d’aller manifester…

Quelques mots sur votre carrière. Pensez-vous faire un parcours cohérent.

Je m’y emploie ! Il n’y a pas de malentendu entre mes rôles et moi. Je ne tourne ni pour capitaliser ni pour m’occuper. Je cherche du sens à chacun de mes personnages. J’ai été longtemps intermittent. Je galérais. On ne me proposait que des rôles de dealer ou de braqueur très mal écrits. Je ne les acceptais pas. Après « Un prophète », j’ai peu à peu pu choisir. Mais je sais ce que sont les hauts et les bas de ce monde. Mon père était un comédien de théâtre talentueux et passionné. Il est mort dans une grande précarité. Cet été, j’ai tourné trois mois à Alger. On me parlait de mes films. Surtout «Django » et « Hors Normes ». J’ai reçu une telle bienveillance que tous mes complexes identitaires ont volé en éclat. En revanche, pendant quelques temps, je vais me consacrer à mon propre film sur « Le rire médecin », l’association dont je suis le parrain et qui propose des clowns au chevet des enfants malades. La fraternité, ce n’est pas compliqué !

 

By |décembre 7th, 2022|Categories: Cinéma|0 Comments

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