Par Philippe Dupuy
Avec The Substance, film en anglais de la réalisatrice française Coralie Fargeat (Revenge), les sélectionneurs Cannois ont trouvé de quoi assouvir leur nouvelle lubie pour le « film de genre ». Jadis, ils assommaient les festivaliers avec de grands films historiques russes ou chinois, dont la critique disait qu’ils étaient « beaux mais chiants« . Désormais, place aux « films concepts« de pure mise en scène, si possible futuristes et sanguinolants. Après Titane (Palme d’or 2021), The Substance pousse les curseurs à fond. Difficile de faire plus superficiel et sanglant. L’histoire d’une star de télé vieillissante (Demi Moore) qui découvre un programme secret lui permettant de retrouver sa jeunesse… Mais une semaine sur deux seulement ! La semaine suivante, elle retrouve son enveloppe corporelle habituelle. A condition de respecter le protocole : chaque jour de plus passé dans sa nouvelle identité (en Margaret Qualley) se paie de 10 ou 20 ans de plus dans l’ancienne. Facile de deviner ce qui va se passer dans ce Portrait de Dorian Gray 2.0 à l’esthétique publicitaire qui utilise toutes les ficelles du body horror pour un résultat encore plus navrant que Titane. Tous les espoirs sont donc permis au palmarès ! Censé se passer à Hollywood, le film a été en grande partie tourné sur la Côte d’Azur. C’est peut-être là que se niche son génie: impossible de faire la différence !
Après ça, Les Linceuls, nouveau film de David Cronenberg, auquel Coralie Fargeat a presque tout piqué, fait évidemment pale figure en matière de film concept. Vincent Cassel y joue l’inventeur d’un système de « sépulture connectée ». Une caméra embarquée dans le linceul retransmet en direct sur l’écran digital de la tombe la décomposition du cadavre ! Riche idée, à partir de laquelle Cronenberg brode, avec son talent habituel, un thriller horrifique sur les dangers de l’utra connectivité et de l’intelligence artificielle. Ca pourrait être bien (mieux que son précédent en tout cas), si ce n’était pas aussi long et bavard. On ne peut pas en dire autant de Caught by the Tide, le nouveau Jia Zhangke dont les protagonistes n’ont que quelques lignes de dialogue. Le réalisateur Chinois a utilisé des chutes de ses films précédents ( Les Eternels et Still Life notamment) pour raconter une histoire d’amour ratée sur 40 ans de modernisation de la Chine à marche forcée. On y retrouve ses deux acteurs fétiches (Zhao Tao et Zubin Li) que l’on voit vieillir sans le moindre recours aux effets spéciaux. Ca fait du bien ! Bien que banni des grands festivals occidentaux, le cinéma Russe est présent à Cannes avec le nouveau film du dissident Kirill Serebrennikov sur Edouard Limonov, poète, écrivain et activiste d’extrême droite, qui soutint l’annexion de la Crimée, envoya ses militants combattre pour la Russie dans le Dombass et mourut avant de pouvoir soutenir la guerre en Ukraine, dont il était originaire. Serebrennikov en fait une sorte d’Amadeus Russe, dans une reconstitution épatante du New York des années 70-80, sur fond de reprises de Lou Reed et du Velvet Underground. Brillant sur la forme mais louche sur le fond, Limonov, la ballade offre à Ben Whishaw (le Q des derniers James Bond) un rôle qui pourrait lui valoir un prix d’interprétation… Si on n’était pas à Cannes, où ils échoient généralement à des inconnus dont l’Histoire oublie aussitôt les noms .
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