Par Philippe Dupuy
Le plateau ressemble à une immense salle d’attente, encombrée de fauteuils et de canapés. Les acteurs l’investissent avant que les lumières ne s’éteignent. Nous sommes dans le salon très fréquenté de l’énigmatique conseiller du Kremlin, Vadim Baranov. Un journaliste français est venu l’interviewer. Il lui fait raconter l’ascension de Vladimir Poutine et le rôle qu’il y a joué, avant de démissionner et de disparaitre de la scène politique… Roland Auzet adapte, assez fidèlement, Le Mage du Kremlin, roman de Giuliano da Empoli, Grand Prix du roman 2022 de l’Académie Française qui a connu un succès considérable en librairie. Une plongée au cœur du pouvoir russe des années 2000 à nos jours. Outre Baranov, personnage largement inspiré de Vladislav Sourkov, amateur de rap, écrivain et metteur en scène de théâtre d’avant-garde qui fut l’homme de l’ombre de Vladimir Poutine, on croise l’oligarque Boris Berezovsky, le poète punk nationaliste fou Edouard Limonov, des rappeuses à la Pussy Riot qui entonnent à tout propos le « Gangsta Paradize » de Coulio en Russe, une bande de jeunes nationalistes forcément exaltés et, last but not least, Poutine lui-même, froid et venimeux comme un serpent à sonnettes.
Tous enfilent, comme des perles, des considérations politiques savantes sur le « nouvel empire Russe », la décadence de l’occident et la guerre en Ukraine. Discussions, en français et en russe, dont les punchlines sont reprises sur les écrans et ponctuées d’un fracas de musique bruitiste à chaque changement de scène (au cas où on s’endormirait ?). L’ensemble, servi par un casting inégal, nous a paru difficile à appréhender pour qui n’aurait pas lu le livre. « Une cacophonie qui dit tout et son contraire« , comme il est dit quelque part dans le texte. De tous les personnages, celui de Baranov/Sourkov, est, curieusement, le plus faible. Loin du « Mage » annoncé, en tout cas : un apparatchik comme les autres, tout au plus. Il nous avait semblé plus consistant dans le roman, tout comme la réthorique politique, à laquelle le récitatif de la pièce donne une emphase pontifiante. Bref, ces « salades russes« , proposées en trois services à La Cuisine du TNN, nous ont laissés sur notre faim.
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