Par MAB
Elle n’a ni nom, ni prénom. C’est la petite bonne, « la boniche ». Au mitan des années 1930, elle est domestique chez des bourgeois et dit combien elle n’a d’autre choix que d’être travailleuse et dévouée. Or ce week-end-là, elle redoute de se rendre chez les Daniel. Exceptionnellement, Madame a accepté d’aller prendre l’air à la campagne. Alors la petite bonne devra rester seule avec Monsieur, un ancien pianiste, gueule cassée de la bataille de la Somme. Il faudra cohabiter, tenter de comprendre des mots baveux et rageurs. Porter, laver, nourrir « ce tronc qui sanglote ». C’est trop pour elle, si jeune et si fluette et déjà traumatisée dans son propre corps. Pourtant Monsieur, accablé d’amertume, a un projet en tête. Il veut utiliser la bonne pour l’accomplir. Il le dit puisqu’il est le deuxième narrateur du formidable roman de Berenice Pichat. La troisième ,étant Madame qui dans la maison de campagne de son amie Irène réalise combien elle est « une mutilée sociale » et combien les privilégiés n’ont que faire de la morale….Voilà l’histoire de « La Petite Bonne ». Un livre que l’on prend en hésitant : C’est quoi cette collection « Les Avrils » ? C’est qui cette autrice ? Et cette façon d’écrire? Or, dès les premières pages, c’est l’évidence : parmi l’avalanche de romans de ces derniers mois, « La Petite bonne » est une excellente pioche. Beau, surprenant et très émouvant. Par l’alternance des points de vue, appuyée par des types d’écriture différents (vers libres pour la bonne, dont les journées s’enchaînent mécaniquement, prose classique et riches de mots pour les maîtres ), il dit avec fluidité et intelligence, non seulement les horreurs de la grande guerre passée. Mais aussi les rapports de classe et de genre qui perduraient jusque-là et s’effacent peu à peu tant ces trois personnages sont liés par la culpabilité et la frustration. Ajoutons, qu’il y a d’autres thématiques très contemporaines, développées dans ce récit mais en dire plus serait enlever le suspense de cette très belle découverte.
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