La Maison vide de Laurent Mauvignier est un pavé. 743 pages, exactement. Comme est un pavé Kolkhoze d’Emmanuel Carrère. Les deux ouvrages, très proches l’un de l’autre par leur récit familial à la première personne, sont dans la petite liste du Goncourt et de ce fait, déjà en tête des ventes. Donc à lire, en principe. Si l’on a opté cette semaine pour La Maison Vide c’est que ce roman ambitieux a le charme de la pudeur et de la modestie. Là ou Kolkhoze, incontestablement brillant, est parfois assommant de références historiques et littéraires. Agaçant d’ « en même temps » entre admiration et haine pour sa famille. Evidemment, ce n’est pas par son originalité que La maison vide séduit tant . Il s’agit encore et encore, comme Kolkhoze et les autres, d’une saga familiale sur un siècle et demi. Mais c’est ainsi: même si Mauvignier affirme que cette demeure terrienne qu’il décrit dans les moindres détails n’existe que dans son esprit, elle parait parfaitement authentique au lecteur. Il y croit et reconnaît même entre les lignes la vie de ses propres aïeux . « C’est un livre écrit à hauteur d’enfant, né des récits que j’ai entendus quand j’étais petit » ou autrement dit, la vie lente et parfois violente d’une famille paysanne, attachée à ses terres, obligée aux devoirs et aux conventions de génération en génération. A l’origine de ce besoin d écrire, un père taiseux qui se donne la mort alors que Laurent n’avait que 16 ans et un piano abandonné dans une maison de famille. Suit, alors, une enquête sur la branche paternelle qui fait revivre trois générations de femmes. Avec comme figure centrale, l’arrière grand-mère, Marie-Ernestine, passionnée par la musique des compositeurs allemands. Tout est raconté en différentes couches, traversées par l’histoire intime et la grande histoire; la guerre de 14, notamment, et les femmes qui ont dû remplacer les hommes à la ferme. L’ écriture est souple, naturelle.
Fluide et rythmée. Le roman est long mais très accessible. Il pourrait être adapté en série. Attendons les prix…
Le récit, paru aux « Bruit du monde« , est un flot de paroles. Douleur et colère ont tenu la plume d’un lamento qui dit combien, Amine Kessaci, 22 ans, est en combat contre le narcotrafic qui gangrène Marseille. Ses mots sont d’abord adressés, post mortem, à Brahim, le frère aîné et aimé, enterré à Alger, après avoir été exécuté en 2020 dans le quartier Nord, brûlé dans une voiture : « Nous avons des comptes à régler, Brahim. Dis leur aux minots qui franchissent la porte du non retour, que le narcotrafic c’est le diable. Dis leur que tu étais vivant et que maintenant tu as rejoint l’armée des morts« . Amine sait que sa mère « n’a jamais lâché« . Que, malgré le danger, elle allait récupérer Brahim dans les points de deal. Préferant « qu’il lui en veuille, plutôt que de le perdre. » Qu’elle était en lutte elle aussi, comme toutes les mères courage des cités. Il sait aussi que son père, plus taiseux et plus honteux, a fait ce qu’il a pu. Il connaît la triste humilité des hommes.. Il sait aussi, le désespoir des profs face à ce décrochage scolaire qui mène à la consommation, puis à la vente de la drogue. « Il faudrait dresser des statues aux enseignants » écrit-il. C’est donc vers les pouvoirs publics que se tourne sa colère. Pour lui, ils sont au mieux indifférents. Au pire satisfaits que « l’ on parle de dealers plutôt que de chômage. De la violence des cités, plutôt que des coupes budgétaires. D’un ennemi intérieur, plutôt que de la faillite d’un modèle« . Son texte est puissant, engagé, motivé. A l’heure où il l’écrivait, Amine attendait le procès de ceux qui avaient tué son frère aîné. Il y racontait les résistances de celles et ceux qui chaque jour refusaient de baisser les bras. Devenu un symbole à Marseille, il créait « Conscience« , un parti politique qui ne renie ni son identité, ni son quartier. « Tant que la fierté nous habitera, nous vivrons.Tant que nous marcherons la tête haute, en rang serré rien ne pourra nous abattre« . Même pas la mort atroce de Mehdi, en 2025. Le petit frère adoré, assassiné pour avertissement après la parution du livre. Insondable tristesse pour Amine qui jamais n’abandonnera la lutte .Il le dit à visage découvert..Son immense courage mérite soutien et protection !
Ce qui rend Gangnam de l’écrivain français Ian Manook (pseudo de Patrick Manoukian) si particulier, c’est sa façon d’utiliser le polar comme prétexte à une découverte de la Corée du Sud, partagée entre tradition et modernité. Dès les premières pages, le paysage est là : la pluie diluvienne qui tombe en rideau sur les ruelles étroites et moites ; les hommes en costume serré et les gamines en cosplay. Et plus loin, les néons clignotants, les parcs florissants et les croisements géants qui mènent à des tours d’une hauteur impressionnante. Les autres sens, bien entendu, se mêlent à la vue : le crépitement des échoppes à fritures sur les trottoirs, la foule bruyante et vite énervée, l’odeur pestilentielle du marché aux poissons; Voire le goût des plats savoureux nommés en coreen par l’auteur. Gangnam est un livre, bien sûr, mais son style est celui d’un documentaire aussi réaliste que poétique. Lire l’ouvrage, c’est faire un voyage au pays du matin pas si calme, sans quitter son canapé. Une aubaine pour les écolos et les peu aventureux que l’intrigue qui suit, ne va pas encourager au déplacement ! CarGangnam est surtout un polar: Dès son premier jour à Séoul, une touriste française est enlevée. Aussitôt, l’ex-policier mafieux surnommé Gangnam prend en charge le mari éploré et mène une enquête officieuse, aidé qu’il est par une jeune inspectrice nourrie aux dramas et mangas. Mais alors qu’ils tentent tous trois d’expliquer l’improbable kidnapping, le mystère s’épaissit davantage lorsque l’idole absolue de la K-pop se suicide en laissant une étrange lettre d’adieu. L’ex flic, se résout, alors, à demander l’aide du dragon de la mafia historique, déclenchant une véritable guerre des clans… Tout est donc là dans ce thriller ultra détaillé et documenté : la beauté des lieux et l’horreur à chaque coin de rue ; les coutumes ancestrales et l’avenir incertain d’une jeunesse acculturée, le désir de vivre et l’obsession de la mort, le respect des ancêtres et la violence parfois insoutenable de mafieux sans foi ni loi. C’est passionnant. Une incitation à découvrir les autres ouvrages de Manook.
Alors que s’ouvrait à Paris le procès de l’affaire du « financement libyen » de la campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007, Mediapartdiffusait au cinéma le film qui résume 10 ans d’enquête et quelques 200 articles publiés par le site sur les relations, pour le moins troubles, qu’ont entretenu les pouvoirs français et libyen sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Cette affaire, « Personne n’y comprend rien » estimait en interview l’ancien président de la République. Fabrice Arfi et Karl Laske, qui ont mené l’enquête pour Mediapart se chargent donc d’éclaircir le sujet, face caméra avec quelques protagonistes et plusieurs spécialistes des relations internationales. Des images d’archives de la guerre en Lybie, de la visite d’Etat du colonel Kadhafi à Paris et des nombreuses déclarations de Nicolas Sarkozy sur le sujet, complètent la démonstration. Le film n’est pas un pamphlet, mais le produit d’une enquête au long cours. C’est passionnant et édifiant pour comprendre le verdict du procès de Nicolas Sarkozy et sa condamnation à de la prison ferme.
Lang (Eddie Peng) revient dans sa ville natale aux portes du désert de Gobi. Alors qu’il travaille pour la patrouille locale chargée de débarrasser la ville des chiens errants, il se lie d’amitié avec l’un d’entre eux. Une rencontre qui va marquer un nouveau départ pour ces deux âmes solitaires…
Ce qu’on en pense
Grand Prix du Certain Regard à Cannes 2024, ce drame puissant signé du Chinois Ju Guan fait d’autant plus songer aux meilleures oeuvre de Jia Zhangke que le réalisateur apparaît ici sous les traits de l’oncle Yao. Portrait de la Chineau début du XXIe siècle (l’action se déroule dans le désert de Gobi, une cinquantaine de jours avant les Jeux olympiques de 2008) et réflexion sur la vie, la mort, le rejet et la solitude, Black Dog force le respect sous ses airs de western post apocalyptique. La photo et la mise en scène impressionnent. Le scénario, par contre, souffre de quelques faiblesses.
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