Par Philippe DUPUY
Il a le « 06 » de Robert de Niro, tutoie Martin Scorsese, visionne des films avec le président de la République, est reçu chez Steven Spielberg, boit des coups avec Iggy Pop, dîne avec Leïla Bekhti, Nicole Kidman lui envoie des fleurs et, seule Catherine Deneuve est encore capable de l’intimider. Délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux a le plus beau métier du monde : il choisit les films qui iront à Cannes et attend, en haut des marches du Palais, que les stars montent jusqu’à lui pour le remercier… Certes, le job a quelques inconvénients. D’abord, il faut supporter la critique (« Si la sélection est bonne c’est grâce aux films. Si elle est mauvaise c’est forcément de ma faute ») et les humeurs des cinéastes, qui rêvent tous d’aller à Cannes mais lui en veulent s’ils n’ont aucun prix. Et puis, il faut aimer voyager : le D.-G de Cannes (qui est aussi directeur de l’institut Lumière à Lyon, où il organise un autre festival) dort rarement plus de quatre jours dans le même lit, il peut faire un aller-retour à New York dans la journée pour rencontrer un réalisateur et il partage son temps entre l’Institut Lumière, les bureaux du Festival à Paris, la Croisette au mois de mai et le reste du monde dans les créneaux disponibles. Le TGV Lyon-Paris et les lounges d’aéroports n’ont plus de secret pour lui. Sinon, il se déplace essentiellement en vélo, sa troisième passion après le cinéma et le foot, avant le rock, la chanson française et les tracteurs. Eddy Merckx et Bruce Springsteen sont ses héros, au même titre que les grands auteurs de cinéma d’hier et d’aujourd’hui… Tout cela, on l’apprend à la lecture du volumineux journal de bord, de plus de 600 pages, qu’a tenu Thierry Frémaux entre mai 2015 et mai 2016 : d’un palmarès à l’autre. Une idée de Sabine Azéma, dont Grasset compte bien faire ses choux gras : le Festival vu de l’intérieur, c’est de l’inédit ! Même s’il ne faut pas attendre de révélations chocs, d’indiscrétions, ni de règlements de comptes (Frémaux a « une cinéphilie heureuse » et aspire à être « copain avec tout le monde »), on trouve quand même, au fil des pages de ce journal passionnant et remarquablement bien écrit, des réponses aux questions qu’on pouvait se poser sur la dernière édition du Festival. Et même quelques infos utiles pour les prochaines ! Sur la composition du jury, par exemple, Thierry Frémaux confie avoir proposé la présidence à Jean-Luc Godard (qui a refusé) et penser depuis longtemps à Mick Jagger, qui est un « fidèle discret » du Festival. Et pourquoi pas à Bruce Springsteen, dont il est un fan absolu (des pages entières lui sont consacrées) ? Il n’en fallait pas plus pour lancer une des premières rumeurs du Festival 2017 ! Laurent Gerra pourrait également faire partie du jury : vieux copain lyonnais du délégué général, l’humoriste est omniprésent dans les pages. Et c’est le premier à avoir deviné qui aurait la Palme d’or en 2016 : «Vous voyez des centaines de films et le vainqueur sera Ken Loach ! » s’était-il moqué à l’annonce de la sélection. Des centaines ? 1867, très exactement. Ça en fait des voyages…
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