Interview : Vincent Delerm

//Interview : Vincent Delerm

Interview : Vincent Delerm

Une « vie Varda ».Comme celle qu’il chante dans son nouvel album : oublier le succès, « simplement dire ce qui nous touche », « regarder ailleurs », « quelquefois chercher l’élégance » et « parfois trouver la beauté » Depuis qu’il est apparu, à l’aube des années 2000 dans le paysage de la chanson française, Vincent Delerm s’est appliqué à garder la légèreté du trait qui, mine de rien, dessine une carrière presque déjà vingtenaire. La parution de son septième album (Panorama) et du film qui l’accompagne (Je ne sais pas si c’est tout le monde) fournit l’occasion de faire un point sur le parcours atypique du chanteur « hors compétition »

Sortir un film et un disque en même temps, c’est une double pression ?

Au bout de vingt ans, c’est un luxe inouï de pouvoir continuer à exister comme artiste et de faire ce que j’ai envie de faire. Je n’ai jamais trop transformé ça en pression négative. Je me dis qu’il y a un noyau dur de gens qui me suivent et s’intéressent à mon travail et qui auront envie de voir où j’en suis. La pression, c’est plutôt au moment de l’écriture des chansons : on a envie qu’elles soient bien et que les gens ne soient pas trop déçus.Mais avoir la possibilité de faire ce qu’on a envie de faire, s’inscrire dans la durée en tant que chanteur, tout en pouvant faire un pas de côté de temps en temps, comme avec ce film, c’est juste du bonheur.

Les deux projets étaient imbriqués dès le départ ?

Depuis quelques années, j’aime bien travailler sur la chanson et faire autre chose en parallèle : des photos, du théâtre, un film cette fois. L’idée du film remonte à plusieurs années déjà et elle a beaucoup évolué au fil du temps.L’écriture de l’album est venue après.Il y a des passerelles entre les deux : la chanson « Panorama », qui donne son titre à l’album, reprend des extraits d’interviews du film. Et « Je ne sais pas si c’est tout le monde » reprend le titre du film, mais elle n’est pas dedans. D’ailleurs, la BOdu film sortira séparément.Le film et l’album sont comme deux chemins parallèles…

Pourquoi les sortir ensemble ?

Je ne voulais pas qu’un des deux objets soit à la ramasse de l’autre. Ça m’est arrivé plusieurs fois de sortir des choses en même temps, parce que ça appartenait à une même époque de création.Il y a aussi l’idée de ne pas sortir le disque et revenir six mois après pour dire « Ah, au fait, j’ai oublié de vous dire : j’ai aussi fait un film » (rires). J’aime bien rester assez discret donc, tant qu’à faire de la promo, autant la faire pour les deux en même temps.

Les thématiques abordées sont assez proches…

Il y a forcément un cousinage.Le film et l’album fonctionnent sur un même ressort, qui est de se demander quelles sont les choses présentes qui comptent pour nous et si elles comptent aussi pour les autres.Ça impliquait l’intervention de gens extérieurs. Sur l’album, j’ai demandé à une dizaine d’artistes différents de réaliser chacun une chanson et sur le film j’ai interviewé des gens très différents aussi les uns des autres.On passe par toute une galerie de personnages qui disent quelque chose d’eux et de leur manière de ressentir la vie et les choses. Le fil conducteur c’est de partir d’une impression personnelle, de se dire : « Oui je ressens ça, mais je ne sais pas si c’est tout le monde » et de télescoper ça chez les autres. C’est ce qu’on essaie toujours de faire quand on écrit des chansons : on parle de choses très intimes et personnelles, en espérant qu’elles trouvent un écho fort chez ceux qui les écoutent.

En quoi le fait de faire intervenir des gens différents sur chaque chanson modifie-t-il le résultat final ?

Ça change forcément. En ne travaillant qu’avec un seul réalisateur pour tout l’album, on obtient une unité de couleurs et de sons.C’est ce qu’on recherche d’habitude.Là, au contraire j’avais envie que des gens que j’admire s’emparent de mes mélodies pour en faire un truc à leur sauce. Même dans l’écriture, ça a orienté les choses : j’ai essayé d’écrire en fonction des gens auxquels j’allais confier la chanson.

Comment avez-vous choisi vos collaborateurs ?

L’idée était de me faire plaisir en contactant des gens que j’admirais de loin depuis longtemps et avec lesquels je me disais que je pourrai travailler. Voyou ou Girls in Hawaï ont un son très différent du mien, mais je pressentais que ça pouvait fonctionner.Idem pour Rufus Wainwright avec lequel j’ai même pu faire un duo. Avec Peter Von Poël, Yael Naïm ou Keren Ann on était déjà en terrain connu…

Pourquoi ce titre, Panorama ?

Panorama, ça renvoie à la fois au panel de gens présents sur l’album et aussi au fait qu’avec le temps j’ai tendance à observer les choses de plus loin, avec plus de recul. Cela fait aussi une passerelle avec le film : il y a quelque chose de visuel, comme un paysage…

Quelque chose aussi de l’ordre du bilan de vie ?

Sans doute.Qu’est-ce qu’on en a fait ? A quoi ça a servi ?Comme chanteur, je voulais m’inscrire dans la durée, faire carrière, si on peut dire. Mais ça obéit à des choses qui vous échappent. Difficile de savoir à l’avance qui restera et qui sera vite oublié… C’est plus une question de tempérament que de talent à mon avis. Pour durer, il faut accepter qu’il y ait des moments de creux, des accidents de parcours…

Comment allez vous porter cet album sur scène ?

Je vais le jouer seul sur scène au piano, avec un grand écran derrière moi.Il y aura des projections de musiciens qui m’accompagneront sur certains titres, pour casser un peu le côté solo.Et puis des choses plus poétiques ou cinématographiques…J’espère venir chanter à Nice et à Toulon, où j’ai d’excellents souvenirs des tournées précédentes.

Vous accompagnerez aussi la sortie du film dans les salles ?

Autant que possible, oui.L’idéal serait de pouvoir le programmer la veille ou le jour du concert et d’être présent à la projection pour en parler avec les gens.Ce n’est pas un objet de cinéma conventionnel.Ça n’aurait pas eu de sens de chercher à en faire un produit commercial et de le sortir dans un tas de salles en même temps.Je suis content que ça puisse se faire un peu à ma façon, et d’une manière qui ressemble à ce que défendent l’album et le film : cette idée de « hors compétition », comme dans la chanson sur Varda.

Comment a-t-il été conçu ?

J’ai fait comme si on me disait : tu as une heure d’écran, tu mets ce que tu veux dedans. Ça a donné quelque chose d’hybride, mi-documentaire, mi-fiction. J’étais parti sur quelque chose de plus écrit, mais en avançant je me suis rendu compte que par rapport à ce que je voulais développer – un rapport à une certaine intimité-, il fallait que j’obtienne des gens qu’on voit dans le film la même chose qui se passe quand on discute pendant longtemps dans une soirée, que le bar est en train de fermer et qu’on dit des choses qui ne sont pas forcément des révélations incroyables, ni qui vont créer un scoop de fou, mais juste très personnelles, très enfouies, à propos desquelles on a tendance à se dire : moi je ressens les choses comme ça, mais je crois que je suis un peu le seul… Et évidemment on se rend compte que c’est là qu’ on trouve le plus grand écho chez les autres.

Qu’ont en commun Alain Souchon, Vincent Dedienne, Jean Rochefort et les inconnus que vous faites parler ?

Ce sont tous des gens que je côtoie, Je n’ai pas cherché à interviewer des gens loin de mon cercle : il y en a déjà plein que j’aurais voulu mettre dans le film et qui n’y sont pas.

C’est le dernier film qu’a tourné Jean Rochefort et les images sont très émouvantes…

C’est lui qui m’a poussé à réaliser en me disant : si tu fais un film je tournerai dedans.Il disait sans doute ça à beaucoup de gens, mais moi je l’ai pris au mot.Il a été merveilleux. Si le film existe, c’est grâce à lui.Et aussi un peu pour lui.

By |octobre 17th, 2019|Categories: ça vient de sortir|0 Comments

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