« Comment fais-tu pour raser ça ? » lui demandait Kim Novak dans Liaisons Secrètes (Richard Quine 1960). Arme de séduction massive, la célèbre fossette de Kirk Douglas lui fendait le menton en deux. Est-ce pour cela qu’il incarna toujours – avec une rare expressivité-,  des personnalités ambivalentes ?   De La Captive aux yeux clairs (Howard Hawks 1952) à L’Arrangement (Elia Kazan 1969) en passant par Les Sentiers de la Gloire (Stanley Kubrick 1957) et La Vie passionnée de Vincent Van Gogh (Vincente Minelli 1957),  Les Vikings (Richard Fleisher 1958) et  Spartacus (Stanley Kubrick 1960), ses compositions complexes en firent plus qu’une icône de l’âge d’or d’Hollywood : littéralement un « monstre sacré ». Dernier à mériter ce titre, Kirk Douglas, né  Issur Danielovitch Demsky le 9 décembre 1916, s’est éteint le 5 février 2020,  à l’âge vénérable de 103 ans. C’est son fils Michael qui a annoncé son décès. Avec l’âge et les honneurs, il avaient fini par tellement se ressembler qu’on pouvait presque les confondre. Mais lorsqu’à l’occasion de la promo du film Ant Man,  on avait demandé à Michael Douglas quel était son super héros préféré, il nous avait naturellement répondu: « Mon père ! ».

« Farouche et sarcastique » c’est ainsi que  Gilles Jacob, qui l’accueillit souvent au festival de Cannes se souvient de Kirk Douglas. « Kirk s’est fait tout seul, a survécu à tout,  rappelle l’ancien président du Festival : pauvreté, accident d’hélicoptère, AVC, crise cardiaque et même rescapé d’Hollywood, qui ne lui a donné au bout de 80 rôles qu’un Oscar de consolation ». Cannes n’ a pas été beaucoup plus prodigue, à vrai dire. Il y vint pourtant pour la première fois en 1947 pour L’Emprise du crime, son premier rôle au cinéma. Cinq ans plus tard, il foulait à nouveau le tapis rouge pour Detective Story de William Wyler. Mais c’est sa partenaire, Lee Grant, qui remporta le prix d’interprétation. Première Victoire en 1965 n’en fut pas une, non plus… Si l’on en croit la légende,  c’est même grâce à un heureux quiproquo  qu’il présida, en 1980,  le jury du 33e Festival: c’est Douglas Sirk qui avait, en réalité, été pressenti, mais l’information fuita avec le mauvais nom ! Douglas Kirk se rattrapa en couronnant deux chefs d’oeuvre : All That Jazz de Bob Fosse et Kagemusha d’Akira Kurosawa. Le Festival l’accueillit une dernière fois en 2010 pour un documentaire sur le chef opérateur Jack Cardiff auquel il avait participé avec Lauren Bacall,  Charlton Heston et Martin Scorsese.  Ces dernières années,  l’acteur restait étonnamment actif sur son blog qu’il animait d’une plume alerte. Dans une tribune suivant l’élection de Donald Trump, il mettait en garde contre les dangers du populisme qui menaçait , pensait-il, son pays et le monde.  « Fils de chiffonnier », ainsi qu’il se présentait dans le titre de son autobiographie, son coeur restait solidement accroché à gauche. Jusqu’au dernier battement.