Déjà sous évalué à Cannes, avec un Prix du scénario qui récompensait mal sa splendeur, Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma a encore dû se contenter d’un prix de la meilleure photo aux César, alors que l’Académie avait l’occasion de pouvoir décerner un César de la meilleure réalisation à une femme : Céline Sciamma. Alors que le film sort enfin en dvd, la réalisatrice répond à nos questions et rappelle que l’ostracisation des femmes dans l’Art ne date pas d’hier…
Comment avez vous reçu ce Prix du scénario à Cannes? Il a déçu beaucoup de festivaliers qui s’attendaient à mieux pour votre film…
J’étais déjà bien heureuse d’avoir été dans la course et d’être primée pour ma première participation à la compétition. Après, c’est vrai qu’on rêvait plus d’un prix d’ensemble et il a fallu gérer la déception de l’équipe. Mais c’est un film très écrit, qui m’a pris le plus de temps que les autres à scénariser. Je suis ravie qu’on identifie mon travail dans ce domaine et que le film soit au palmarès.
Quel est votre rapport à l’art pictural dans lequel baigne le film?
Je n’ai pas de rapport particulier à la peinture, même si je vais en voir depuis toujours. J’ai choisi cet art avant tout pour filmer une artiste au travail. Je voulais montrer la peinture comme geste plutôt que comme oeuvre. On a beaucoup travaillé sur la gestuelle avec la peintre du film, Hélène Delmaire, qui est une artiste contemporaine de 30 ans. La seule référence picturale que j’avais au départ c’est Corot, qui a fait quelques portraits de femmes particulièrement lumineux.
Vous affirmez dans le film que les femmes-peintres étaient, à cette époque, empêchées de réussir. Pourquoi?
Elles n’avaient pas les mêmes opportunités d’exposition et de sujets. Les cours d’anatomie étaient réservés aux hommes. Pourtant, c’est un moment de l’histoire de l’art où la scène artistique féminine est particulièrement florissante. Il y a eu une sorte de parenthèse enchantée, puis le couvercle s’est refermé. Ce fut une volonté politique de réduire le champ d’action des femmes dans la société et de les effacer de l’histoire de l’art. Ce ne sont pas des peintres oubliées mais des peintres effacées de l’histoire.
Le film est une véritable symphonie de regards échangés entre les deux femmes. Comment filme-t-on cela ?
C’est une chorégraphie qui s’est créée en live, à la voix, en donnant les indications aux comédiennes. Au montage j’avais comme un herbier de regards dans lequel j’ai pu puiser. Mais travailler les yeux, c’est aussi travailler les paupières la bouche, le menton , le nez… Tout le visage en fait.
Pourquoi avoir choisi de vous attarder, en ouverture, sur l’accostage laborieux de Marianne sur l’île?
Je voulais qu’on soit tout de suite dans la physicalité car il y a un parti pris de cinéma très physique pour ce film. Marianne est un personnage qui se jette à l’eau, littéralement, qui ne lâche rien et pour laquelle son art est la chose la plus précieuse. C’est ce qu’est censé montrer cette première scène.
Pourquoi lui faire peindre aussi l’avortement de la jeune servante?
Un film de femme, c’est l’audace de regarder des choses qui nous sont intimes. Les scènes d’avortement sont rares au cinéma : je voulais représenter le fait que ça ne l’est pas dans la réalité. Pourtant, aucun musée du monde ne contient une toile qui s’appelle « La faiseuse d’anges ». Cela montre qu’en se privant des artistes femmes, on se prive de la représentation de la vie intime des femmes. Ce sont des images qui manquent.
Quelle est la fonction du personnage de la servante ?
Elle représente la sororité, par laquelle il est possible d’abolir la hiérarchie de classe
Pourquoi l’amour de Marianne et Héloïse est-il impossible ?
Parce qu’ elles mêmes n’y croient pas. Pour raconter la condition vraie des femmes de cette époque, il ne fallait pas leur donner un destin trop héroïque.
Le choix de Vivaldi pour la dernière scène ?
Je voulais un tube facilement identifiable pour reconvoquer le pouvoir de la musique au cinéma dans un film qui n’en a pas. C’est une interprétation particulière, avec un violon spécial qui donne au morceau une puissance rare.
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