Par Philippe DUPUY
Roman du siècle ou fumisterie totale ? On est obligé de se poser la question en refermant le dernier Don DeLillo. Le Silence évoque plus qu’il ne décrit le « grand shutdown« . Un dimanche soir, alors qu’ils attendent des amis pour regarder la finale du Super Bowl , quelques jeunes gens réunis dans un appartement New Yorkais constatent l’évidence : plus rien ne fonctionne. Plus de télé, plus de téléphone, plus d’internet, plus d’électricité… Silence sur les ondes et noir total sur les écrans. Sidérés, ils attendent le retour à la normale en échangeant des banalités, font l’amour, dorment, mangent et boivent. Rien ne se passe. Les écrans restent noirs comme la couverture de ce petit bouquin de la taille et de l’épaisseur d’un smartphone grand format identique à celui qui illustre la couverture. Que s’est-il passé ? On ne sait pas puisqu’aucun système de communication ne fonctionne. Que se passe-t-il à l’extérieur ? On ne sait pas trop, non plus (vu des fenêtres de l’appart : des rues remplies de monde, puis désertes). Que va-t-il se passer ? Le pire probablement (l’exergue du roman cite Einstein : « J’ignore de quelles armes usera la 3e guerre mondiale mais la 4e se fera à coups de batons et de pierres« ). Déjà, il commence à faire très froid dans l’appart et la nourriture ne va pas tarder à manquer. Mais rien n’est clairement exprimé, ni décrit. Peut-être parce que, comme pour l’actuelle pandémie, tout le monde s’y attendait sans y croire et que devant l’évidence du désastre, les mots sont inutiles ? « La situation actuelle nous apprend qu’il n’y a rien d’autre à dire à part ce qui nous traverse l’esprit et dont de toutes façons aucun d’entre nous ne se souviendra » dit l’un des protagonistes. Cela explique la pauvreté du discours (mais pas de l’écriture) et la brièveté du texte, qui tient sur à peine 106 petites pages. Le lecteur peut en concevoir une légitime frustration: après un pitch génial, l’auteur le laisse en plan. A lui d’imaginer le film qui pourrait être tiré de ce non-roman ou d’en écrire la suite. S’il manque d’imagination, il pourra toujours relire Cormack McCarthy (La Route) ou Barjavel (Ravage) et revoir tous les films post-apocalytiques des trois dernières décennies. Mais tout bien considéré, il ne manque vraiment qu’un mot à ce texte aussi lapidaire que génial. Et il résume tout, mieux encore que le titre : Fin.
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