Interview : Jeanne Herry

//Interview : Jeanne Herry

Interview : Jeanne Herry

Par Marie-Aimée Bonnefoy

Créée en 2014, la justice restaurative est encore peu connue en France. D’où vous est venue l’idée d’en faire votre second long-métrage  » Je verrai toujours vos visages » ?

Après PUPILLE, je cherchais un nouveau projet et j’ai entamé des recherches sur le milieu de la justice. J’ai toujours été passionnée par les faits divers, les procès, les grandes figures du banditisme, les ténors du barreau… Un jour, je suis tombée par hasard sur un podcast autour de la justice restaurative. J’ai été captivée : ce qui m’intéressait dans ce processus était précisément ce qui motivait mes recherches dans tous les domaines: la réparation.

De quelle façon, la justice restaurative répare t-elle?

En offrant à des personnes ayant été victimes d’agression et à ceux qui les ont commises la possibilité de se rencontrer, de se parler et de se réparer. Face-à-face, dans un groupe de paroles, les plaignants et les auteurs d’infraction vont pouvoir échanger leurs ressentis, leurs émotions et tisser un nouveau rapport où l’empathie peut parfois prendre le pas sur la peur.

Dans « Pupille », il était déjà question de réparation…

Oui, c’est à nouveau un film qui raconte le triomphe du collectif. Et le lien m’intéresse, c’est évident, quel qu’il soit. J’aime étudier comment il se tisse, se transfère, se délite ou se rompt. Et j’aime aussi explorer les bons sentiments. C’est complexe, les bons sentiments.

Vous êtes-vous beaucoup documentée ?

Dans PUPILLE comme dans ce film, j’éclaire un endroit du réel peu connu qui propose des outils porteurs d’espoir. Pour autant, je ne fais pas ces films pour parler de l’adoption ou de la justice restaurative. Ce ne sont pas des documentaires. Le fond me touche, mais c’est d’abord le cinéma qui m’importe. Ce sujet, je le choisis car je pressens que je vais pouvoir y planter des graines de romanesque et qu’il va m’offrir la possibilité de faire un bon film. Au cours de mes recherches, un des interlocuteurs que j’ai rencontré m’a dit : « L’objectif de la justice restaurative, c’est la libération des émotions par la parole ». C’est cette libération que j’ai voulu mettre en scène.

Avez-vous assisté à ces groupes de paroles entre victimes et agresseurs ?

Non. Ce serait contraire au principe de base de cette pratique qui invite les agresseurs à se raconter en toute liberté. Ils savent que le cadre dans lequel ils vont s’exprimer est sécurisé et que rien de ce qu’ils diront ne sera répété. Il arrive d’ailleurs que certains dévoilent des faits qu’ils n’ont jamais révélés. Les seules rencontres auxquelles j’ai assisté sont les formations. J’en ai suivi trois : la formation d’animateurs que font Fanny (Suliane Brahim) et Michel (Jean-Pierre Darroussin) dans le film – j’ai vraiment éprouvé de l’intérieur la première scène du film en jouant tour à tour des auteurs et des victimes face à des apprentis animateurs – ; celle de médiateur, la fonction qu’occupe Judith (Elodie Bouchez) ; et une troisième formation par Zoom au Québec. En fait, quand je prépare un film, je n’assiste à rien. J’additionne des récits de vie qui me permettent de comprendre très rigoureusement les «règles du jeu» et puis, après,  je rebondis sur ce qui m’inspire, je fusionne des témoignages, j’invente, je vais piocher dans ma propre vie… J’acquiers un étayage documentaire solide qui libère mon imaginaire.

Les personnes mises en présence dans « le cercle » comme se nomment  ces rencontres, ne sont pas choisies au hasard. On ne met pas n’importe quel auteur en face de n’importe quelle victime…

Le système de cette justice restaurative ne met pas de victimes en présence d’auteurs qui se diraient innocents de leurs actes. Ceux-ci doivent avoir une reconnaissance au moins partielle de leur culpabilité.  Et c’est parce qu’ils ont déjà cette reconnaissance que la confrontation avec les victimes peut potentiellement achever de les responsabiliser. De même, dans cette configuration, et contrairement à la médiation, les victimes ne rencontrent pas leurs propres agresseurs mais des gens qui ont commis le même type d’infraction.

Vous évoquez également la médiation Un autre dispositif ou il n’est plus question d’un cercle mais d’un face à face entre une victime et son véritable agresseur…

C’est en effet le cas de Chloé (Adèle Exarchopoulos) violée par son frère durant son enfance qui, apprenant que celui-çi est revenu vivre dans la même ville qu’elle , souhaite poser des règles pour qu’ils ne se croisent jamais…

Y a t il des échecs dans ces processus: le cercle comme la médiation ?

Dans la médiation, la plupart des cas ne vont pas jusqu’à la vraie rencontre mais ce qui compte, c’est le parcours. Les dossiers sont ouverts et le dialogue s’engage par le biais des entretiens avec les médiateurs même si l’auteur et la victime ne se rencontrent pas physiquement. Pour « Le cercle » en revanche, ces quinze heures de rencontres à raison de trois par semaine aboutissent parfois à ce les participants se prennent dans les bras !

Aviez-vous des films en tête pour réaliser le vôtre ?

Lorsque j’ai commencé à l’écrire, « En thérapie », la série d’Olivier Nakache et Éric Tolédano arrivait sur Arte. Elle m’a beaucoup plu et aussi rassuré : à ce stade, même si je ne le souhaitais pas, je me posais encore la question de mettre ou non en scène les agressions dont les victimes avaient fait l’objet. Devait-on voir Sabine (Miou-Miou) se faire voler son sac ? Son récit suffirait-il ? « En thérapie » m’a confortée dans ce que voulais faire. Les visages de la série étaient comme des paysages : on se faisait nous-mêmes nos propres images. On peut faire confiance aux mots et au jeu. Je me suis concentrée sur le plaisir et la perspective de voir mes acteurs jouer. 12 HOMMES EN COLÈRE, de Sidney Lumet, m’a aussi beaucoup inspirée.

Et les comédiens …

J’ai écrit pour certains dès le début : Miou-Miou, Elodie Bouchez, Gilles Lellouche, Leïla Bekhti (Nawell) Jean-Pierre Darroussin… Je n’étais pas sûre que le rôle intéresserait Gilles – après tout, son personnage n’arrive qu’à la cinquantième page-, je ne connaissais pas Leïla Bekhti. Pour moi, c’étaient des boussoles, c’était agréable d’avancer avec eux en tête. J’ai très vite pensé à Birane Ba pour le rôle d’Issa. Je l’avais trouvé très inspirant en travaillant avec lui sur un spectacle à la Comédie française. Alors qu’il y a peu de personnages jeunes dans mes films, Il m’a donné envie d’en imaginer un. Sont venusensuite Suliane Brahim avec qui j’avais travaillé aussi, Adèle Exarchopoulos, Dali Benssalah et Fred Testot. Tous ont un peu vécu ce film comme un challenge. Ils avaient beaucoup de textes (peu de scénarios en comportent autant), de longs monologues qui étaient de véritables petits morceaux de bravoure et qu’ils ont d’ailleurs vécu comme tels sur le tournage. La première à se lancer a été Leïla lors de la première réunion ; un monologue de neuf minutes. Chacun à leur tour, ils s’applaudissaient, se soutenaient. Si je vais chercher ces acteurs, c’est aussi parce que je sais qu’ils savent travailler un texte et qu’ils y prennent du plaisir. Je leur demande d’être très précis. je ne veux absolument pas d’improvisation !

Quel est le rôle des ces bénévoles interprétés par Anne Benoit et Pascal Sangla et qui vont sans doute provoquer des vocations…  ?

Ils font partie des membres de la communauté et interviennent peu pendant les débats. Mais ils écoutent, ils soutiennent, de manière inconditionnelle…Ce sont eux qui gèrent les pauses. Ils sont là pour accueillir, apporter un peu de convivialité. Et sans même s’en rendre compte, les auteurs et les victimes partagent un café, fument ensemble… Les membres de la communauté doivent faire en sorte que le lien continue de se tisser durant ces moments-là tout en empêchant les participants de revenir sur les discussions de fond  qui doivent rester dans le cercle. Leur rôle est de lancer des sujets de conversation anodins sur le temps, le ciel, la nouvelle zone piétonne ; du rien, quoi. Cela donne des moments légers comme ce dialogue autour de la chemise de Thomas qui n’a aucun intérêt.Quand je présente mon film dans les avant-premières, il y a souvent des bénévoles dans la salle !

By |mars 30th, 2023|Categories: Cinéma|0 Comments

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