Par Philippe DUPUY
On reconnaît derrière lui les gradins du théâtre Lino-Ventura, à Nice. La salle est vide, il est seul avec sa guitare, un tambourin bat la cadence hors-champ. Le texte de la chanson, sobrement intitulée « M. Moretti » , reprend en l’imageant celui que Tété avait publié sur Facebook en réponse au tweet, d’un certain François Moretti à propos de son nouvel album, Chroniques de Pierrot lunaire, paru début octobre, « Musicalement, c’est sympa mais putain c’est un nègre, désolé mais ça ne passera jamais ». Ce qui « ne passera jamais », pour Tété, c’est le racisme et la bêtise. La chanson s’adresse donc à cet admirateur imbécile, auquel il fait remarquer la « cinglante ironie » qui consiste à admirer le travail d’un artiste et à le dénigrer dans le même temps, à cause de sa couleur de peau. Au refrain, le chanteur s’amuse de voir « céder aux sirènes de (sa) poésie » celui qui « tient pour sauvages les noirs de Rhodésie ». Un « paradoxe sale à souhait » qui nécessite, selon lui, qu’on « prenne de la hauteur ».
« Le 19 novembre, nous arrivons à Nice la belle, perclus de fatigue des concerts donnés les jours précédents, raconte le chanteur. Malgré les images des événements que l’on sait se superposant à cette lumière si particulière, je suis bien déterminé à enregistrer ici cette nouvelle chanson écrite entre Orange et Nancy. En arrivant au théâtre Lino-Ventura, je jette mon dévolu sur la rivière asséchée qui jouxte le parking et offre une jolie perspective. Hélas, la luminosité baisse trop vite et le bruit de la circulation achève de me convaincre de me rabattre sur la salle. »
« M. Moretti » vient idéalement compléter ces Chroniques de Pierrot lunaire dans lesquelles le chanteur a voulu, dit-il, « raconter l’histoire d’un homme en bute à la réalité qui n’a d’autre ressource que de changer de point de vue à défaut de pouvoir changer les choses ». Quinze chansons qui chroniquent à distance les événements tragiques de l’année par le biais d’images poétiques « pour les exorciser plutôt que de remuer le couteau dans la plaie ». Avec des arrangements minimalistes et des open tuning de guitare inspirés des pionniers du blues « pour remettre la musique et l’humain au centre du jeu ». « On vit dans un monde de plus en plus oppressant, aux portes de l’enfer », constate Tété qui dit avoir « trouvé beaucoup de lumière et d’apaisement » dans le fait de faire un break et de partir au bout du monde (Japon, Tahiti) seul avec sa guitare, pour retrouver un contact plus direct avec sa musique et son public. Il est revenu, « plein d’usages et raison » selon la formule consacrée, avec ce bel album aux textes ciselés, qu’il chante partout en tournée, avec un grand succès. N’en déplaise à tous les M. Moretti…
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