Simon Liberati : Stanislas
Par MAB
En septembre 1965, Simon Liberati entre à Stanislas en classe de onzième, le CP d’aujourd hui. Ses parents – lui, ancien surréaliste, elle, ex danseuse aux Folies Bergères – l’ont inscrit dans cette prestigieuse institution catholique de la rue de Rennes pour le protéger de la délinquance et de la drogue qu’ils pensent inévitables dans le public. Souci qui ne manque pas d’ironie quand on connaît l’hygiène de vie future de leur rejeton chéri ! Résultat, Simon se trainera douze ans à « Stan » avant d’être exclu juste avant le bac, afin que ses résultats médiocres ne fassent pas chuter le taux de réussite de l’établissement parisien. Aujourd’ hui, à soixante-cinq ans, l’écrivain évoque ces années scolaires qui l’ont fait passer, non sans mal, de l’enfance à l’adolescence. « Je noircis sûrement pour faire l’intéressant, mais je n’y peux rien. Mon enfance est manichéenne, d’un côté le bonheur paisible à la maison (enfant unique choyé par sa mère ) , de l’autre l’enfer à l’école ». Pourquoi ce portrait intime, après tout aussi opportuniste que narcissique, vaut-il d’être lu? D’abord pour une mauvaise raison: Au départ, il peut sembler faire écho à toutes les « affaires » qui ressortent ces temps-ci. Qu’elles viennent de Betharram ou de quelques autres collèges privés. Ensuite, pour une bonne, celle-là: A la lecture, on découvre que Liberati, appelé « Liboche » dans la cour de récréation, a beaucoup moins subi des enseignants (qui, pour autant n’ont pas su le protéger ) que des garçons de son âge. Des gosses de riches , dont il donne les noms, et qui pour certains d’entre eux, se révélaient cruels par naissance. Enfin, parce qu’en parlant librement de lui, de ses rapports à sa famille, à ses maîtres, aux nombreuses lectures qui l’ont nourri, Liberati évoque les années soixante -soixante dix, et la génération en voie de mutation qui les a vécues. Sa mélancolie est contagieuse.
Une Nuit en France
Par MAB
Samedi 18 novembre 2023, à Crepol (Drôme ) Thomas, encore adolescent, meurt d’un coup de couteau en plein cœur à la fin d’un bal. Trois autres personnes sont grièvement blessés. Très vite l’information se répand que les jeunes agresseurs seraient originaires de la Monnaie, quartier sensible de Romans-sur-Isère. Le drame s’enflamme. Provoque des réactions extrêmes et propage la haine sur les réseaux sociaux. Non seulement, il secoue immédiatement les politiques français dont certains parlent d’ « ensauvagement de la France« . Mais continue, plus d’un an après, à susciter des réactions épidermiques. Preuve en est le cyberharcelement et les menaces de mort que subissent les trois auteurs , – traités pour faire court d’islamo gauchistes- du livre-enquête Une nuit en France . Alors passons outre l’emballement médiatique provoqué par le livre et lisons-le. Les deux journalistes, Jean-Michel Decugis et Marc Leplongeon, ainsi que la romancière Pauline Guéna se veulent précis et chronologiques, poussant leurs interrogations bien au delà du fait divers. Tout est donc la : Crepol, « village de 568 habitants, austère, taiseux, comme la France en compte tant » Puis la cité de la Monnaie à quinze kilomètres. « A droite, un KFC. A gauche des petites barres d’immeubles défraichis. Plus loin la mosquée, une des deux que compte ce quartier de 3000 habitants ». Suit l’organisation de la soirée dans la salle des fêtes. Les vigiles qui fouillent les sacs et retirent quelques couteaux « pour couper le shit »(?!) Puis la danse, l’alcool, la drogue et les embrouilles qui commencent. On entend des insultes « anti blancs », des coups qui partent, des couteaux qui sortent, deux clans qui s’affrontent jusqu’au chaos, jusqu’à ce que Thomas, pris dans la mêlée, rende son dernier souffle. Lisez cette anatomie d’un fait divers qui a déchiré le pays. Vous en apprendrez tellement plus que l’on ne peut écrire ici sur l’état d’une certaine jeunesse et de certains lieux de notre république. Car tout est dit. « Rien n’est caché» selon les auteurs qui poursuivent loin leurs investigations, faisant entendre tous ceux qui, de près ou de loin, étaient concernés. Le constat s’il est amer, n’est pas- à nos yeux en tout cas – partisan. Et les faits sont suffisamment confus, contradictoires et désespérants pour que personne ne s’arroge le droit de les récupérer. A lire pour comprendre où l’on en est.
Le Fil
Par J.V
Le pitch
Depuis qu’il a fait innocenter un meurtrier récidiviste, Maître Jean Monier (Daniel Auteuil) ne prend plus de dossiers criminels. La rencontre avec Nicolas Milik (Grégory Gadebois), père de famille accusé du meurtre de sa femme, le touche et fait vaciller ses certitudes. Convaincu de l’innocence de son client, il est prêt à tout pour lui faire gagner son procès aux assises, retrouvant ainsi le sens de sa vocation…
Ce qu’on en pense
Après diverses « Pagnolades », Daniel Auteuil réalisateur s’essaie au film de procès avec ce drame tourné dans le Sud de la France et notamment à Draguignan. Se confiant le premier rôle, Auteuil acteur y retrouve Gregory Gadebois avec lequel il forme un duo touchant. Dommage que la mise en scène soit si pépère et le scénario , adapté de nouvelles de l’avocat Jean-Yves Moyart, si prévisible malgré un twist final peu convaincant.
Beetlejuice Beetlejuice
Par Ph.D
Le pitch
Après une terrible tragédie, la famille Deetz revient à Winter River. Toujours hantée par le souvenir de Beetlejuice (Michael Keaton), Lydia (Winona Ryder) voit sa vie bouleversée lorsque sa fille Astrid (Jenna Ortega), adolescente rebelle, ouvre accidentellement un portail vers l’Au-delà. Alors que le chaos plane sur les deux mondes, ce n’est qu’une question de temps avant que quelqu’un ne prononce le nom de Beetlejuice trois fois et que ce démon farceur ne revienne semer la pagaille…
Ce qu’on en pense
35 ans après sa sortie, Beetlejuice fait partie de ces films cultes qui se transmettent d’une génération à l’autre et qu’on revoit avec une pointe de nostalgie. A la demande générale, Tim Burton en livre une suite, moins bricolée mais plus banale. On retrouve avec plaisir Michael Keaton et Winona Ryder dans les rôles de Lydia et de Beetlejuice et on attend avec curiosité de voir ce que le scénario leur réserve. On est prêt à aimer aussi les nouveaux personnages (dont la fille de Lydia, jouée par Jenna Ortega dans un rôle proche de celui de Mercredi ) et à se laisser emporter par la fantaisie débridée du maître d’oeuvre, au rythme de la BO endiablée de Danny Elfman. Mais la magie s’est envolée. On aura beau l’invoquer par trois fois, l’âme de Beetlejuice ne reviendra pas. Comme le laisse présager son titre, Beetlejuice Beetlejuice n’est qu’une aimable redite. Une simple comédie horrifique, qui joue sur la nostalgie et les références au premier film sans en créer de nouvelles. L’univers poetico-morbide de Tim Burton n’a pas changé, il a juste un peu vieilli. Comme les spectateurs de Beetlejuice 1, il a perdu son innocence.
Angot : Nuit sur commande
Par MAB
La romancière et cinéaste Christine Angot ne respecte jamais longtemps les consignes. Alors qu’elle a choisi pour la collection « Ma nuit au musée » une immersion nocturne à la Bourse de Commerce, la fondation parisienne de François Pinault, la voila qui introduit son ouvrage par le musée municipal de Chateauroux, lieu où elle a (mal) grandi. Pas étonnant ! Pourtant la commande des éditions Stock était précise. Il lui fallait comme d’autres auteurs avant elle, passer une nuit entière dans le musée de son choix et tirer un récit de cette aventure artistique. Christine n’est pas emballée. Elle se sent illégitime, comme d’habitude. Elle a peur toute seule. Mais c’est payė ( il est beaucoup question d’argent chez elle ) Alors elle demande à être accompagnée de sa fille, plus sensible à l’art qu’elle même. Et si elle choisit la Bourse de Commerce, c est que c’est de l’art contemporain, que les artistes sont vivants et que… c est près de chez elle . Pour autant pas question d’y passer toute la nuit. Au bout de quelques heures de divagations, Christine et Léonore s’échappent sous les yeux perplexes du gardien. La visite est bâclée et au fond tant mieux car La nuit sur commande n’a rien d’un indigeste catalogue de musée. Dans le récit oral vif et décousu qui la caractérise, Angot revient sans fard sur tout ce qui l’a détruit et construit: l’inceste commis par son père, bien entendu. Mais aussi ses amours, ses échecs et réussites littéraires; ses amitiés mondaines un peu fausses, comme celle de la plasticienne Sophie Calle ou de la libertine Catherine Millet; ses mauvais choix d émissions télévisées et la cruauté d’un collègue qu’elle ne nomme pas mais en qui on reconnaît le Yann Moix de « On n’est pas couché » . Bref. C’est peu de chose. Très autocentrė. Angot le dit elle-même. On admet qu’elle peut agacer. Et pourtant elle se lit facilement. C’est décapant et drôle et puis il y a cette relation formidable mère-fille. Enfin cela peut même donner envie de découvrir ou redécouvrir la fondation Pinault .
Emilia Perez
Par Ph.D
Le pitch
Surqualifiée et surexploitée, Rita (Zoe Saldaña) use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas (Karla Sofía Gascón) à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être !
Ce qu’on en pense
Sujet original (un narcotrafiquant qui veut changer de sexe), traitement qui ne l’est pas moins (sous forme de comédie musicale avec des passages chantés et chorégraphies), casting sensationnel (Zoe Saldana et la révélation Karla Sofia Gascon en narco transgenre), mise en scène inventive (drame, polar, télénovela, action, comédie musicale, tous les genres sont fusionnés en un mash-up génial ) superbe BO (Camille reviens, tout est pardonné !)… Jacques Audiard aurait dû rafler une deuxième Palme d’or en mai dernier à Cannes. Le Jury présidé par Greta Gerwig en a décidé autrement. Emilia Perez est reparti auréolé d’un prix du Jury et d’un autre pour l’ensemble de la distribution féminine. C’était le moins que l’on puisse faire ! Sacré Meilleur film étranger (et meilleure comédie) aux Golden Globes Emilia Perez a récolté 7 César et 2 Oscars. Ceux qui ne l’ont pas encore vu vont enfin pouvoir le découvrir sur Canal+ également disponible en VOD/Dvd).
Mother Land
Par J.V
Le pitch
Depuis la fin du monde, June (Halle Berry) protège ses fils Samuel (Anthony B. Jenkins) et Nolan (Parcy Daggs) en les confinant dans une maison isolée. Ils chassent et cherchent de quoi survivre dans la forêt voisine, constamment reliés à leur maison par une corde que leur mère leur demande de ne surtout « jamais lâcher ». Car, si l’on en croit June, la vieille cabane est le seul endroit où la famille est à l’abri du « Mal » qui règne sur la Terre. Mais un jour, la corde est rompue…
Ce qu’on en pense
Fils d’Alexandre Arcady, Alexandre Aja, a su imposer à Hollywood avec des films dhorreur comme Piranha ou La Colline a des yeux. Il poursuit sur sa lancée avec ce Mother Land dystopique , dans lequel Halle Berry joue une mère courage prête à tout pour protéger ses enfants d’un mal qui n’existe peut-être que dans sa tête. La réalisation tient en haleine jusqu’à un final qui coupe le cordon… et le souffle !
Ma Vie, ma gueule
Par J.V
Le pitch
Ce qu’on en pense
Monté par ses enfants, Agathe et Adam Bonitzer, le dernier film de Sophie Fillières (décédée juste après le tournage) met en scène Agnès Jaoui dans le rôle d’une femme au bord de la crise de la soixantaine, perdue en elle-même et un peu exaspérante pour les autres (dont sa soeur, jouée par Valérie Donzelli), qui pourrait être la cousine parisienne de la Gena Rowlands d’Une femme sous influence. Un rôle en or pour l’actrice, décidément gâtée ces derniers temps. Ni gai, ni triste, Ma Vie, ma gueule est un film testamentaire, tout en délicatesse, d’une douce folie mélancolique. Un des plus beaux de la regrettée réalisatrice.
Les Barbares
Par J.V
Le pitch
À Paimpont, l’harmonie règne : parmi les habitants, il y a Joëlle (Julie Delpy) – l’institutrice donneuse de leçons, Anne (Sandrine Kiberlain) – la propriétaire de la supérette portée sur l’apéro, Hervé (Laurent Lafitte) – le plombier alsacien plus breton que les Bretons, ou encore Johnny (Marc Fraize) – le garde-champêtre fan de… Johnny. Dans un grand élan de solidarité, ils acceptent avec enthousiasme de voter l’accueil de réfugiés ukrainiens. Sauf que les réfugiés qui débarquent ne sont pas ukrainiens… mais syriens ! Et certains, dans ce charmant petit village, ne voient pas l’arrivée de leurs nouveaux voisins d’un très bon œil…
Ce qu’on en pense
De retour en France, Julie Delpy s’essaie à la comédie chorale et sociale avec ces sympathiques et bretonnants Barbares qu’incarnent avec conviction Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, India Hair, Mathieu Demy et consorts. Le film dénonce avec humour le racisme et le populisme ambiants, mais souffre de la comparaison avec « The Old Oak » de Ken Loach, auquel l’histoire fait irrésistiblement songer. Le doyen du cinéma anglais y faisait preuve de plus de finesse et de maîtrise.
Les Graines du figuier sauvage
Par Ph.D
Le Pitch
Iman (Misagh Zare) vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices, mais décide de s’y conformer. À la maison, ses deux filles, Rezvan (Mahsa Rostami) et Sana (Setareh Maleki), étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh (Soheila Golestani), tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement…
Ce qu’on en pense
Alors que l’on célèbre le deuxième anniversaire du mouvement « Femme, vie, liberté! » le nouveau film de Mohammad Rasoulof arrive à point nommé sur nos écrans pour raconter de l’intérieur le déchirement de la société iranienne et souffler sur les braises d’une nouvelle révolution. Favori d’une partie de la critique pour la Palme d’or à Cannes 2024 (où il était arrivé après avoir quitté clandestinement son pays : un périple de 28 jours à pied dans les montagnes !) le réalisateur iranien en est reparti avec un Prix Spécial à peine consolatoire. Les Graines du figuier sauvage méritaient au minimum un Grand Prix. Ce brulôt de trois heures découpé en 3 actes virtuoses est un pur chef d’oeuvre. A voir absolument.
L’Amour Ouf
Par Ph.D
Le Pitch
Les années 80, dans le nord de la France. Jackie (Mallory Wanecque / Adèle Exarchopoulos) et Clotaire (Malik Frikah / François Civil) grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c’est l’amour fou. La vie s’efforcera de les séparer, mais rien n’y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur…
Ce qu’on en pense
Erreur de casting de Cannes 2024 où, présenté en compétition, le nouveau film de Gilles Lellouche a récolté la plus mauvaise note de la critique internationale (et zéro prix) , L’Amour ouf arrive sur les écrans précédé d’une promo bulldozer, destinée à faire oublier la mauvaise impression cannoise. Délesté de quelques scènes violentes (mais pas beaucoup moins long), le film devrait toutefois séduire le public de Monte Cristo avec son casting « de ouf » (il ne manque que Pierre Niney) et son histoire d’amour à la Roméo et Juliette du ch’Nord. Délaissant l’humour dépressif du Grand bain, Lellouche s’est attaqué à l’adaptation du roman culte de Neville Thompson avec un appêtit d’ogre et un culot monstre. Jetés en vrac dans la bétonneuse, Trainspotting, West Side Story, Scorsese, Olivier Marshall, Ken Loach, The Cure (« A Forrest »), Deep Purple (« Child in Time« ), Billy Idol (« Eyes Without a Face« ) et Prince (« Nothing Compares 2U« ) se sédimentent en un mélo stéroïdé et braillard de 2h40, qui ne se pose aucune question sur la représentation de la violence ou l’héroïsation des petites frappes et fait l’effet d’un pain dans la gueule : on en sort sonné.
Silex & the City
Par J.V
Le pitch
Dans une préhistoire condamnée à ne jamais évoluer, un père et sa fille en conflit vont bouleverser la routine de l’âge de pierre. Après un aller-retour dans le futur, ils ramènent accidentellement l’équivalent d’une clé coudée Ikéa qui va enfin déclencher l’évolution, pour le meilleur et surtout pour le pire…
Ce qu’on en pense
Adaptation de la BD à succès de Jul, déjà déclinée en série TV, Silex and the City, le film déroule sur grand écran un scénario original sur la notion de progrès. Hélas, les situations sont inégales et la mécanique comique , essentiellement basée sur les anachronismes, a tendance à s’enrayer dans la seconde moitié du film, avec des scènes tournées avec de véritables acteurs qui plombent la proposition tant elles sonnent faux par rapport au reste. Heureusement, les vannes fusent et on se régale à reconnaître les voix d’Amélie Nothomb, Frédéric Beigbeder, Guillaume Gallienne, Léa Salamé, Denis Ménochet, Stéphane Bern, Raphaël Quenard, Julie Gayet et François Hollande (!) qui doublent les personnages.
Leila Slimani : J’emporterai le feu
Par MAB
Il y a cinq ans, il y eut d’abord « Le pays des autres« . Puis « Regardez-nous danser » en 2022. Voilà « J’emporterai le feu » troisième volet avec lequel Leila Slimani termine sa trilogie romanesque et autobiographique. Après les décennies 1940-1960, entre colonisation et lendemains d’indépendance, place à la troisième génération de la famille Belhaj. En ces années 80, les personnages ont vieilli et changé. Medhi, par exemple, n’est plus le jeune homme tiraillé entre convictions et ambition. Il est père de famille et haut fonctionnaire, comme l’était le père de Leila. Et comme ce dernier, connaîtra des heures tragiques sous l’autoritaire royauté marocaine. Et puis, il y a Mia et Inès, ses deux filles. En 90, l’ainée, 18 ans, s’apprête à quitter Rabat et la douceur du cocon familial pour échapper à la rigidité des mœurs de son pays, trouver son identité sexuelle et étudier dans un Paris gris et froid ou là aussi, elle aura du mal à trouver sa place. C’est elle que l’on suit en priorité dans cet ouvrage. Elle, à qui son père dit « pars, ne reviens pas et emporte avec toi le feu« . Leila Slimani connaît bien cette mélancolie, ce mal du pays et cette appartenance déchirée que vit son héroïne. D’ailleurs Mia deviendra écrivaine…Ce dernier tome, tout aussi réussi, sinon plus que les précédents, est celui du début de la mondialisation. Tout le monde bouge et s’échappe dans la famille. Chacun est en quête d’affranchissement et de liberté. Sauf Mathilde, la plus marocaine des Alsaciennes. Le récit est riche et puissant. Oscille entre passé et présent. Tradition et modernité. Histoire du Maroc et récit familial. Et bien sûr évolution personnelle et universelle. Habilement, Leila Slimani fait en sorte que chacun et chacune, d’ici ou de la-bas, puisse s’y reconnaître.
Emmanuelle
Par Ph.D
Le pitch
Emmanuelle (Noémie Merlant) est en quête d’un plaisir perdu. Elle s’envole seule à Hong Kong pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei (Will Sharpe), un homme qui ne cesse de lui échapper…
Ce qu’on en pense
Un demi-siècle après Just Jaekin, Audrey Diwan s’attaque à l’adaptation du roman érotique phare de la littérature française. Le plus osé, dans ce film élégant à la mise en scène inspirée de Wong Kar-waï, est sans doute de faire d’Emmanuelle une femme dénuée de désir , qui cherche à le retrouver . A l’exception d’une scène finale, qui fait un peu monter la température, cette quête s’avère plutôt sage, voire carrément ennuyeuse. Longues déambulations dans les couloirs d’un palace sur fond de musique électronique et interminables bavardages conduisent à de trop rares batifolages. Dans le rôle titre, Noémie Merlant peine à faire oublier Sylvia Kristel et son fauteuil en rotin.
Jean Echenoz : Bristol
Par MAB
Détrompez vous. « Bristol » n’a rien à voir avec une ville britannique ou un palace parisien. En fait, Bristol est juste le nom du personnage principal. Une nouvelle fantaisie du plaisantin Jean Echenoz. Il l’a même prénommé Robert (« mais qui s’appelle Robert aujourd’hui ? » écrit-il ) et par malin plaisir en a fait un obscur réalisateur de série B ayant bien du mal à financer son prochain long métrage. Quand s’ouvre le récit, alors même que son voisin du dessus se défenestre sous ses yeux, notre Robert part tranquillement à un rendez-vous avec Marjorie des Marais, l’auteure de « Nos cœurs au purgatoire », un livre à succés dont il prévoit l’adaptation. L’actrice principale est choisie, mais Marjorie n’en veut pas. Elle peut financer à condition que Robert engage Céleste… « Mais passons« , comme le répète Echenoz qui aime commenter ce qu’il est en train d’écrire, et retrouvons tout ce petit monde en Afrique centrale (« post coloniale » précise l’auteur ) pour le tournage rocambolesque d’un (mauvais) film d’amour et d’aventures ou mises en places, prises, scènes, péripéties et catastrophes se succèdent. Un récit plein d’humour entrecoupé de l’enquête policière tout aussi drôle sur l’homme nu qui s’est écrasé sur le trottoir parisien. Bref, voilà Echenoz qui, comme à son habitude, garde ses distances avec le roman traditionnel. En un cocktail de roman noir et de burlesque, il distille à nouveau son goût pour les bifurcations soudaines, pour des commentaires personnels, pour des personnages passablement inadaptés et qui, parfois, lui échappent. Rien ne semble profond. Tout ressemble à un trait de crayon moqueur de Sempé. En même temps, l’écrivain s’interroge sur son texte, établit une connivence avec le lecteur, refuse de l’émouvoir mais veut partager avec lui le sentiment que la vie est une comédie et qu’il vaut mieux en rire. Sincèrement quel plaisir de lecture !