Spectateurs !
Par J.V
Présenté à Cannes 2024, le nouveau film d’Arnaud Desplechin est un curieux objet qui, comme son titre l’indique, témoigne de l’expérience qu’est le cinéma pour les spectateurs que nous sommes. Entre film de montage, documentaire et fiction (dans laquelle Desplechin met en scène son double favori Paul Dédalus, ici incarné par plusieurs acteurs), Spectateurs ! est une formidable déclaration d’amour au cinéma. Dans une démarche proche de celle de Jean-Luc Godard dans Histoire(s) du Cinéma, le réalisateur nordiste cherche à percer le mystère de la puissance des images et à expliquer pourquoi certaines nous bouleversent. Mais, contrairement à Godard, son propos reste toujours accessible et les scènes de fiction, qui entrecoupent les extraits et les interviewes, sont de purs moments de cinéma.
Maldoror
Par J.V
Le pitch
Belgique, 1995. La disparition inquiétante de deux jeunes filles bouleverse la population et déclenche une frénésie médiatique sans précédent. Paul Chartier (Anthony Bajon), jeune gendarme idéaliste, rejoint l’opération « Maldoror » dédiée à la surveillance d’un suspect récidiviste (Sergi Lopez). Confronté aux dysfonctionnements du système policier, il se lance seul dans une chasse à l’homme qui le fera sombrer dans l’obsession…
Ce qu’on en pense
Le Belge Fabrice du Welz avait 20 ans lorsque l’affaire Dutroux a éclatée. Il était sans doute le mieux indiqué pour en tirer une oeuvre puissante. De fait, ce Dossier Maldoror est probablement sa réalisation la plus aboutie. Un polar tendu, réaliste et parfaitement documenté, qui dénonce sans détour les failles des systèmes policiers et judiciaires belges et s’offre des échappées purement cinématographiques. Comme celle du mariage du jeune enquêteur obsédé par la traque du criminel, auquel l’épatant Anthony Bajon, prête son physique juvénile. Sergi Lopez, de son côté, campe un Dutroux plus inquiétant que nature.
Babygirl
Par J.V
Le Pitch
Romy (Nicole Kidman), PDG d’une grande entreprise, a tout pour être heureuse : un mari aimant (Antonio Banderas), deux filles épanouies et une carrière réussie. Mais un jour, elle rencontre Samuel (Harris Dickinson), jeune stagiaire dans la société qu’elle dirige à New York. Elle entame avec lui une liaison torride, quitte à tout risquer pour réaliser ses fantasmes les plus enfouis…
Ce qu’on en pense
Dommage que Tom Cruise n’ait pas accepté le rôle du mari ! Babygirl aurait pu être vu comme une suite au sulfureux Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Nicole Kidman y campe une femme mure qui assouvit ses fantasmes de soumission avec le stagiaire de sa boite. La vengeance d’une rousse ? De quoi attirer le chaland, en tout cas. Dommage que la réalisation d’Halina Reijn soit à des années lumières de celle de Kubrick. A l’arrivée : un 50 nuances de Gray sexagénaire, aussi érotique qu’une camomille. Remboursez !
Le Quatrième mur
Par Ph.D
Le pitch
Liban, 1982. Pour respecter la promesse faite à un vieil ami mourant, Georges (Laurent Lafitte) rend à Beyrouth pour un projet aussi utopique que risqué : mettre en scène Antigone afin de voler un moment de paix au cœur d’un conflit fratricide. Les personnages seront interprétés par des acteurs venant des différents camps politiques et religieux. Perdu dans une ville et un conflit qu’il ne connaît pas, Georges est guidé par Marwan (Simon Abkarian). Mais la reprise des combats remet bientôt tout en question, et Georges, qui tombe amoureux d’Imane (Manal Issa), va devoir faire face à la réalité de la guerre.
Ce qu’on en pense
De l’art en temps de guerre... Une pièce de théâtre vaut-elle qu’on risque sa vie pour la monter et la jouer? Jusqu’où aller pour arracher un peu de culture et de beauté aux combats et aux massacres? Ce sont les questions que pose cette adaptation soignée du roman éponyme de Sorj Chalandon. La reconstitution du Liban des années 80 est saisissante de réalisme. Il est vrai que rien n’y a vraiment changé depuis. Ou alors en pire… D’où l’actualité brûlante d’un film qui donne autant à voir qu’à penser.
Hiver à Sokcho
Par J.V
Le pitch
À Sokcho, petite ville balnéaire de Corée du Sud, Soo-Ha (Bella Kim), 23 ans, mène une vie routinière, entre ses visites à sa mère (Park Mi-hyeon), marchande de poissons, et sa relation avec son petit ami, Jun-oh (Doyu Gong). L’arrivée d’un Français, Yan Kerrand (Roschdy Zem), dans la petite pension dans laquelle Soo-Ha travaille, réveille en elle des questions sur sa propre identité et sur son père français dont elle ne sait presque rien. Tandis que l’hiver engourdit la ville, Soo-Ha et Yan vont s’observer, se jauger, tenter de communiquer avec leurs propres moyens et tisser un lien fragile…
Ce qu’on en pense
Adapté du roman éponyme d’Elisa Dusapin, Hiver à Sokcho interroge avec délicatesse la notion de frontière entre les sentiments, dans une ville justement située à la limite des deux Corées. Roschdy Zem y joue un auteur de BD en quête d’inspiration, qui se retrouve par hasard (ou non), face à une jeune guide qui pourrait être sa fille (ou pas). Le film suit l’évolution de leur relation avec une tendresse bienveillante dans une mise en scène élégante. Coup de coeur de la semaine.
La Chambre d’à côté
Par Ph.D
Le Pitch
Ingrid (Julianne Moore) et Martha (Tilda Swinton), amies de longue date, ont débuté leur carrière au sein du même magazine. Ingrid est devenue romancière à succès, Martha, reporter de guerre et leurs chemins se sont séparés. Des années plus tard, leurs routes se recroisent dans des circonstances troublantes…
Ce qu’on en pense
À 75 ans, Pedro Almodovar réalise son premier long métrage en anglais et embarque Tilda Swinton et Julianne Moore dans un mélo crépusculaire sur la fin de vie et l’amitié féminine, tourné aux Etats-Unis (New York et Woodstock). Une nouvelle réussite du maître espagnol, consacrée par un Lion d’or à Venise. Les deux actrices sont merveilleuses et le dernier plan est à tomber raide. Ne passez pas « à côté » de cette chambre, pleine de douceur, de mélancolie et de subtilité.
La Fille d’un grand amour
Par J.V
Le pitch
Ana (Isabelle Carré) et Yves (François Damiens) se sont aimés passionnément puis se sont séparés. Des années plus tard, leur fille, Cécile (Claire Duburcq), réalise un documentaire sur leur rencontre. Ils se revoient à cette occasion. Toujours marqués par leur amour passé, ils vont alors chercher un chemin pour revenir l’un vers l’autre…
Ce qu’on en pense
Scénariste de Valeria Bruni Tedeschi, Agnès de Sacy passe à la réalisation avec ce mélodrame en grande partie autobiographique, puisqu’il s’inspire de l’histoire de ses propres parents. Isabelle Carré et François Damiens forment un couple de cinéma épatant et mettent leur grand talent au service de ce drame intimiste à la réalisation soignée.
Personne n’y comprend rien
Par Ph.D
Alors que s’ouvre à Paris le procès de l’affaire du « financement libyen » de la campagne de Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007, Mediapart diffuse au cinéma le film qui résume 10 ans d’enquête et quelques 200 articles publiés par le site sur les relations, pour le moins troubles, qu’ont entretenu les pouvoirs français et libyen sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Cette affaire, « Personne n’y comprend rien » estimait en interview l’ancien président de la République. Fabrice Arfi et Karl Laske, qui ont mené l’enquête pour Mediapart se chargent donc d’éclaircir le sujet, face caméra avec quelques protagonistes et plusieurs spécialistes des relations internationales. Des images d’archives de la guerre en Lybie, de la visite d’Etat du colonel Kadhafi à Paris et des nombreuses déclarations de Nicolas Sarkozy sur le sujet, complètent la démonstration. Le film n’est pas un pamphlet, mais le produit d’une enquête au long cours. C’est passionnant et édifiant. Pour le voir, il faudra, hélas, guetter les rares séances comme celle du Rialto à Nice, où on a pu le voir en avant-première, en présence et avec les commentaires d’Ellen Salvi, journaliste niçoise responsable du pole politique de Mediapart.
L’amour au présent
Par J.V
Le pitch
Almut (Florence Pugh) et Tobias (Andrew Garfield) voient leur vie à jamais bouleversée lorsqu’une rencontre accidentelle les réunit. Une romance profondément émouvante sur les instants qui nous changent et ceux qui nous construisent…
Ce qu’on en pense
Pour commencer l’année de manière bien plombante, un mélo dans lequel une jeune mère de famille doit faire face à la récidive d’un cancer ! Une Love Story 2025, chargée en pathos mais sauvée in extremis par l’interprétation du couple vedette Andrew Garfield et Florence Pugh. Préparez les mouchoirs…
Bird
Par Ph.D
Le pitch
À 12 ans, Bailey (Nykiya Adams) vit avec son frère Hunter (Jason Buda) et son père Bug (Barry Keoghan), qui les élève seul dans un squat au nord du Kent. Bug n’a pas beaucoup de temps à leur consacrer et Bailey, qui approche de la puberté, cherche de l’attention et de l’aventure ailleurs. Elle va les trouver auprès d’un mystérieux inconnu (Franz Rogowski) qui traîne dans le quartier à la recherche de ses parents…
Ce qu’on en pense
Trois fois primée à Cannes, Andrea Arnold y présentait en 2024 ce nouveau drame social dans lequel son cinéma naturaliste se teinte de fantastique, façon Le Règne animal. La proposition a laissé le jury indifférent, mais pas les festivaliers qui ont apprécié l’audace de la réalisation en format carré et le jeu des acteurs, au rang desquels la révélation Nykia Adams, Franz Rogowski dans une prestation à la Joaquin Phoenix et un Barry Keoghan tatoué des pieds à la tête en père immature. Filmé caméra à l’épaule dans le lumpen prolétariat anglais, avec Fontaines DC et Seaford Mods en BO (aussi Coldplay, mais juste pour faire baver les crapauds), Bird est le meilleur film de la réalisatrice anglaise depuis Fish Tank, auquel il renvoie immanquablement. Leurs jeunes héroïnes pourraient être demi soeurs ou cousines.
Eephus
Par J.V
Le Pitch
Alors qu’un projet de construction menace leur terrain de baseball adoré, deux équipes amatrices d’une petite ville de la Nouvelle-Angleterre s’affrontent pour la dernière fois. Face à cet avenir incertain, les tensions et les rires s’exacerbent, annonçant la fin d’une ère de camaraderie…
Ce qu’on en pense
A la manière de Noël à Miller’s Point, dont il signait d’ailleurs la photographie, Carson Lund s’attache à un groupe de personnes sans chercher spécialement à développer une intrigue en particulier. Un cinéma indépendant US « d’ambiance », qui pourrait devenir la marque d’Omnes films, la société qui a produit les deux longs métrages. A découvrir.
Six jours
Par J.V
Le pitch
Nord de la France, 2005 : Malik (Sami Bouajila), inspecteur de police, assiste impuissant à la mort d’une enfant suite à un kidnapping. En charge de l’enquête, il échoue à retrouver le meurtrier. Dix ans plus tard, sans élément nouveau, sans trace d’un dangereux criminel qui court toujours, l’affaire s’apprête à être classée définitivement. Mais quand de nouveaux faits se révèlent, Malik entame une course contre-la-montre dans l’espoir de résoudre l’enquête avant l’expiration du délai de prescription. Dans six jours. C’est le temps qui lui reste pour retrouver le coupable…
Ce qu’on en pense
Un polar au rythme flou et à l’ambiance glauque, porté par Sami Bouajila dans un rôle de flic très stéréotypé et Julie Gayet dans celui d’une mère meurtrie par la mort de son enfant. Deux parties, pour deux intrigues plus liées qu’il n’y parait au premier abord et un final au rebondissement improbable. Six jours, c’est parfois long…
Tout ira bien
Par J.V
Le pitch
Angie (Patra Au) et Pat (Maggie Li) vivent le parfait amour à Hong Kong depuis plus de 30 ans. Jamais l’une sans l’autre, leur duo est un pilier pour leurs parents et leurs amis. Au brusque décès de Pat, la place d’Angie dans la famille se retrouve fortement remise en question…
Ce qu’on en pense
A Hong Kong, où a loi ne reconnaît pas le mariage homosexuel, les questions de succession peuvent s’avérer épineuses. C’est ce que démontre, avec subtilité, le film de Ray Yeung, qui prend le temps d’installer les relations entre les différents personnages et s’attache à leurs différences sociales pour éviter de pointer du doigt les héritiers et d’en faire des êtres mus seulement par la cupidité. En résulte un mélodrame sensible et attachant.
Un Ours dans le Jura
Par Ph.D
Le Pitch
Michel (Franck Dubosc) et Cathy (Laure Calamy), un couple usé par le temps et les difficultés financières, ne se parle plus vraiment. Jusqu’au jour où Michel, pour éviter un ours sur la route, heurte une voiture et tue les deux occupants. Deux morts et deux millions en billets usagés dans le coffre, forcément, ça donne envie de se reparler. Et surtout de ne rien dire !
Ce qu’on en pense
Franck Dubosc risque de surprendre le public des comédies franchouillardes dans lesquelles il se commet de coutume, avec la réalisation de ce troisième long métrage à l’humour nettement plus noir. Inspiré des comédies noires anglaises et du chef d’oeuvre des frères Coen, Fargo, ce polar enneigé met en scène une galerie de personnages plus croquignolets les uns que les autres autour de l’éventuel partage d’un butin tombé du ciel. Dubosc et Laure Calamy forment un couple de bouseux taiseux déjà assez réjouissant, mais quand Benoît Poelvoorde débarque en gendarme pas si crétin qu’il en a l’air, la farce décolle vers des sommets inespérés. Si l’on ajoute que la mise en scène et la photo sont soignées, que les dialogues sont très bien écrits et que la BO tourne autour d’un tube vintage de Marie Laforêt totalement décalé (« Fais-moi l’amour comme à seize ans »), cela donne une des meilleures comédies françaises de ces dernières années. La meilleure de ce début d’année en tout cas !
Top Films 2024
Par Ph.D
Pour la première fois de l’histoire du box office, en 2024 deux films français arrivent en tête des entrées France. Avec 11 millions de spectateurs, Un p’tit truc en plus, la comédie phénomène d’Artus, devance Le Comte de Monte Cristo (9,3 millions) et Vice Versa 2 (8,4 millions). Aucun des trois ne figure pourtant pas dans notre classement, composé d’oeuvres d’une cinématographie plus convaincante. Pas de film de plateformes non plus cette année, mais une belle présence des productions hexagonales. Voici notre Top 10 2024 (cliquez sur le titre pour lire la critique et voir la bande annonce)
1) Emilia Perez de Jacques Audiard (France)
2) Zone of Interest de Jonathan Glazer (GB)
3) Les Graines du Figuier Sauvage de Mohammad Rasoulof (Iran)
4) Civil War d’Alex Garland (USA)
5) Cent Mille Milliards de Virgil Vernier (France)
6) Flow de Gints Zibalodis (Lettonie)
7) Anora de Sean Baker (USA)
8) Grand Tour de Miguel Gomes (Portugal)
9) Marcello Mio de Christophe Honoré (France)
10) Le Royaume de Julien Colonna (France)