Eric Fottorino: Dix-sept ans
Par M.A.B
Un dimanche de décembre, une femme de 74 ans, livre à ses trois fils le secret qui l’étouffe depuis sa jeunesse. En avouant une souffrance insoupçonnée, cette mère niée par les siens depuis toujours se révèle dans toute son humanité et son obstination à vivre libre malgré des blessures toujours à vif. « Dix- sept ans » est le nouveau « roman » d’Eric Fottorino. Une œuvre consacrée à sa mère comme « L’homme qui m’aimait tout bas » était dédié à son père adoptif. Des pages personnelles écrites à la première personne par lesquelles, pour la première fois et à un âge avancé, l’auteur s’interroge sur les épreuves subies par celle qui l’a mis au monde. Pourquoi n’a-t-il pas réussi à l’aimer ? Parce qu’il est né de père inconnu ? Parce que trop jeune, dix sept ans en soixante, elle ne l’a pas élevé ? Ou était-ce, cette grand-mère qu’il croyait pleine de bonté qui ruina la vie de sa fille ? L’écriture est tendre. Lucide et pudique. Fottorino fouille sa mémoire, retourne sur les lieux de sa naissance : la ville de Nice. Les derniers mots diront les retrouvailles et l’apaisement d’Eric. « Dix-sept ans » est la première émotion de la rentrée littéraire.
Shannon Shaw : In Nashville
Comme Beth Ditto, à laquelle elle ressemble un peu physiquement, Shannon Shaw s’est finalement émancipée de son groupe californien (The Clams) pour enregistrer son premier album solo à Nashville. La ligne sixties et doo wop est conservée, mais les nouvelles chansons ajoutent une coloration country et rhythm’n’blues qui fait toute la différence. Produit par l’incontournable Dan Auerbach (Black Keys), qui a entouré la chanteuse de vieux requins de studio locaux (certains ont même joué avec Elvis!) , Shannon in Nashville est l’album qu’on a le plus écouté cet été. Et on n’est visiblement pas prêt de s’en lasser. C’est le genre de disque qui vous fait une vie. Achetez-le si possible en vinyle: la pochette est superbe.
Rolling Stones : San Jose 99
En 1998-99, les Stones avaient prolongé la tournée Brigdes To Babylon par plusieurs concerts dans une configuration plus modeste. Baptisé No Security, cette mini-tournée les trouvait au meilleur de leur forme musicalement parlant. En témoigne ce concert, capté en Californie, où le groupe jouait dans une salle de moins de 15 000 personnes. Le répertoire intègre des titres relativement peu joués comme «Some Girls» ou « Saint of Me » et le son, très différent de celui des stades, rappelle celui des tournées des années 70. Le groupe avait mangé du lion ce soir-là, ça se voit et ça s’entend. Le meilleur dvd live des Stones depuis celui de la tournée Some Girls (1978).
DVD: Profession Reporter
Un des chefs-d’œuvre d’Antonioni, avec Jack Nicholson et Maria Schneider, le cultissime Profession Reporter (The Passenger en VO) ressort dans une version Ultra Collector que tous les admirateurs du réalisateur italien voudront avoir. Un livre illustré de 160 pages, le DVD/BR en version restaurée HD, des tonnes de bonus… C’est Noël ! Comme tous les chefs-d’œuvre, le film est intemporel (avec son fameux plan séquence final de 7 minutes, décortiqué en bonus) et le couple formé par Jack Nicholson et Maria Schneider est inoubliable. Attention, édition limitée.
Jeff Beck : Still On The Run
Enfin un documentaire sérieux consacré à Jeff Beck, le plus génial des guitaristes anglais encore en activité. De facture très classique (interview de l’intéressé entrecoupée de témoignages,d’extraits de concerts et d’images d’archive…), le film de Matthew Longfellow retrace toute la carrière du guitar hero anglais. Avec un maximum de témoignages de stars et de musiciens (David Gilmour, Jimmy Page, Eric Clapton, Slash, Joe Perry, Ron Wood, Rod Stewart…) qui l’ont côtoyé ou accompagné, et disent leur admiration pour ce funambule de la six cordes en perpétuel renouvellement.
Alex Hepburn : If You Stay
Découverte en 2013 avec un premier album soul blues , Together Alone, et son tube FM « Under« , l’écossaise Alex Hepburn revient en grande forme après un léger passage à vide (et un concert raté à Monaco). Pour faire patienter jusqu’à la sortie de son deuxième album, la chanteuse aux yeux myosotis publie un EP 5 titres qui promet énormément. « If You Stay » et « I Believe » sonnent comme des classiques de rhythm’n’blues mais avec un chant moderne, intégrant hip hop et ragga. « Solid Gold » ressemble à un inédit de Back to Black (Amy Winehouse) ou à la BO du prochain James Bond. « High Roller » est une ballade voix-guitare à la Selah Sue. « Can’t Stop« , un pur tube pop… La voix éraillée à la Kim Carnes/Bonnie Tyler d’Alex est mise en valeur par une production retro du plus bel effet. Si le reste de l’album est de ce calibre, ça va cartonner. En attendant on tient notre (demi) disque de l’été !
Jorja Smith : Lost & Found
Elle a 20 ans, une voix et un look qui réconcilient Amy Winehouse et Sade et son premier album, Lost & Found est bien parti pour être notre disque de l’été 2018. Jorja Smith est anglaise et fait des débuts un peu fracassants avec ce disque soul enregistré avec la bénédiction de Drake et Kendrick Lamar. Le premier a repéré Jorja sur Youtube et l’a invitée à enregistrer un duo sur l’album More Life. Le second lui a également offert un duo sur la BO de Black Panther. Autant dire que si les gros poissons du show biz ne la mangent pas, la jeune native de Birmingham, que l’on a eu le privilège de voir en show case acoustique en juin à Cannes Lions, ira loin. En attendant, son album tourne en boucle sur nos platines. Achetez-le , il vous fera de l’usage.
Johnny Marr: Call The Comet
Ex-guitariste des Smiths et mercenaire multicarte (il a joué avec tout le monde, jusqu’à Hans Zimmer sur la BO d’Inception), Johnny Marr fait un retour flamboyant sur le devant de la scène, avec un troisième album solo explosif, dans lequel il revisite ses influences au travers de compos originales, toutes excellentes. Ça sonne comme du Smiths, du Psychedelic Furs, du Only Ones et du Simple Minds (liste non exhaustive), avec une touche d’Oasis. Bref, c’est de la Britt Pop comme on l’aime. En plus d’être un guitariste génial et légendaire, Johnny s’avère être un aussi bon chanteur et , contrairement à son ex-compère Morrissey, il vieillit avec une classe folle. Vous voulez du bon son ? Call The Comet ! Lire ici l’entretien avec Johnny Marr à Cannes Lions 2018.
Rencontre : Michel Jourdan
Il suffit d’égrener les titres écrits par Michel Jourdan pour avoir un panorama de la chanson française de 1964 à nos jours. Ça commence avec «Les vendanges de l’amour», tube de l’été 1964 chanté par Marie Laforêt, et ça continue avec «Il a neigé sur Yesterday» (Laforêt encore), «Qui saura» et «Rien qu’une larme» (Mike Brant), «La Bambola» et «Dans tes bras» (Dalida), «Vous les femmes» (Julio Iglesias), «Soleil, Soleil» (Nana Moukouri) , «Ca pleure aussi un homme» (Ginette Reno) , «Sur ton visage une larme» (Bobby Solo) , «Je vis pour elle» (Hélène Segara), jusqu’à Kyo («Mes racines et mes ailes») et Calogero («Si seulement je pouvais lui manquer») pour la jeune génération. Cette dernière chanson vaudra à Michel Jourdan une Victoire de la musique, en guise de consécration tardive. Pendant un demi-siècle, cet homme charmant et discret est, en effet, resté dans l’ombre des stars qui se sont approprié ses mots. Ce n’est qu’à la faveur de ses mémoires et d’un documentaire qui lui est consacré, que ce Niçois qui a côtoyé le gratin de la chanson internationale, apparaît enfin dans la lumière. Car, non content d’avoir fait chanter le ban et l’arrière-ban de la variété française (Dorothée fut l’une de ses plus grosses clientes), Jourdan s’enorgueillit de collaborations prestigieuses avec Céline Dion, Julio Iglesias, Barbra Streisand et… Frank Sinatra en personne ! Des rencontres qu’il raconte d’une plume enjouée dans ses mémoires. Mais la partie la plus intéressante est peut-être celle consacrée à son enfance niçoise. Né en août 1934, d’un père pâtissier et d’une mère qui tenait le vestiaire au café Bono, le jeune Michel se destinait à la cordonnerie, mais fut détourné de cet artisanat par celui de la musique. A commencer par celle des films de Charlie Chaplin, sur lesquelles il s’amusait à inventer des paroles. Après une brève carrière de chanteur dans les fêtes de patronage («J’avais l’envie, mais pas la voix»), Jourdan monte à Paris et force la porte de Gilbert Marouani, impresario en vogue, pour lui proposer un essai: «Donnez moi un air, je vous écris les paroles!».Epaté par son talent, Marouani lui confie la partition de ce qui deviendra «Les Vendanges de l’amour». La suite s’écrit en musique et s’étale sur cinq décennies. Jusqu’à Calogero , rencontré dans les bureaux du même Marouani et Kyo, de jeunes gars «qui, comme Calogero, n’ont pas le racisme de l’âge», tout le monde ou presque a chanté du Jourdan. «Il est un des derniers paroliers de cette génération dont j’apprécie fortement le travail, dit de lui Charles Aznavour.Il fait partie des authentiques artisans de notre métier». Sa dernière chanson, Michel Jourdan l’a écrite pour Nice, qu’il a quittée depuis bien longtemps mais n’a jamais oubliée. Elle s’intitule «Ma baie des anges» et parle d’un certain 14 juillet. C’est un autre niçois, Francis Lai, qui en a composé la musique et qui la chante. Il y est question d’ «un camion avec un barbare au volant» et du bonheur d’être Niçois, désormais suspendu «entre un avant et un après».
Interview : Claire Chazal
(Photo Christophe Brachet)
Claire Chazal vient de publier « Puisque tout passe » un premier livre de mémoires, plus introspectif que people. Ceux qui attendaient qu’elle balance sur TF1 et le monde de la télé en seront pour leurs frais. Par contre, ceux qui ont gardé avec celle qui a si longtemps présenté le journal de 20 h 00 un lien particulier seront ravis de ses confidences à cœur et esprit ouvert. Nous avions rencontrée Claire Chazal à Angoulême, où elle était la plus sérieuse et assidue des jurés du 10e Festival du film francophone. Voici ce que nous avait confié la nouvelle présidente du Théâtre Liberté à Toulon…
Comment avez-vous vécu l’après TF1?
Ca a été violent.C’est une décision de la chaîne que je n’avais pas du tout anticipée et qui m’a privée de ce que j’aimais le plus: le reportage, le traitement de l’actualité, la politique, qu’on a essayé de traiter le mieux possible pendant tout ce temps… Il y a eu des moments difficiles, de frustration intense et de regrets, où je me suis sentie très inutile.Notamment lors les attentats de Paris.C’étaient mes premiers moments hors de l’antenne. Pour la première fois, je ne participais pas à l’émotion collective. J’aurais tellement voulu être à l’antenne ce week-end là… La campagne présidentielle «chamboule tout» a évidemment été un autre moment où je me suis sentie particulièrement frustrée. Tous ces rebondissements incroyables! Au final, j’ai eu beaucoup de chance que France 5 me propose un magazine culturel quotidien, Entrée Libre, même si son audience est évidemment plus confidentielle que celle du journal. La culture m’intéresse beaucoup et depuis toujours.
Pensez-vous avoir été victime du nouveau «jeunisme» des chaînes de télévision?
Je ne l’ai pas analysé comme ça sur le coup. Je trouve formidable le renouvellement des élites, l’arrivée de nouvelles têtes, notamment en politique.Il faut évidemment donner leur chance aux jeunes, sortir des codes et des réflexes anciens, en politique comme dans les médias. Mais je suis contre le systématisme. On peut aussi valoriser l’expérience.Un excès de jeunisme n’est pas pertinent, comme tous les excès. Il faut toujours chercher les moyens termes…
Quels sont les meilleurs et les pires souvenirs que vous garderez du vingt heures?
C’est une question difficile car, pour moi, les meilleurs souvenirs sont des souvenirs d’intensité qui correspondent souvent, hélas, à des moments dramatiques de l’actualité.Pour la mort d’Isaac Rabin, par exemple, on a fait le journal en direct de Jérusalem. C’était un de mes premiers journaux à l’extérieur et je me suis sentie investie d’une mission. Il y a aussi, heureusement, des événements joyeux, où l’on participe à la liesse collective, comme les grands rendez-vous sportifs… Mes moins bons souvenirs sont liés à des interviews difficiles, comme celle de Laurent Fabius sur le sang contaminé ou celle de Dominique Baudis au moment de la rumeur de Toulouse. On ne sait jamais, sur le coup, si on a la bonne attitude…
Votre vie a-t-elle beaucoup changé depuis votre départ du journal?
J’ai retrouvé des week-end! Je n’en ai pas eu pendant 25 ans… Ca n’a pas été facile au début.J’avais une impression de vide terrible, car je n’aime pas l’inactivité.Je n’ai jamais été trés fan des vacances, par exemple.Mais je peux désormais consacrer plus de temps au spectacle vivant, à la culture, à la pratique de la danse et à mettre en valeur les artistes que j’aime…
Et le regard des autres, a-t-il changé, lui aussi ?
Heureusement non.J’avais peur d’être oubliée.On est quand même attaché à la popularité, à cette amitié que les gens vous témoignent, à l’attachement qu’ils ont pour vous. Je sais que je le dois à TF1 et à la puissance de ce média, la télévision, qui a fait que, pendant des années, je rentrais chez des millions de gens deux fois par semaine. Mais je constate que les gens restent attachés à moi et j’ai l’impression que cela va durer, même sans TF1. Je reçois des témoignages anonymes quotidiens de gens de la rue qui me disent qu’ils me regrettent.Cela me touche énormément.Je leur réponds qu’ils peuvent regarder une autre chaîne, mais je comprends qu’ils ont l’impression de m‘avoir perdue…
Bashung: Live
Neuf ans déjà qu’il nous a quittés et la (Play) blessure n’est toujours pas refermée. Bashung en live, c’était encore mieux qu’en disque. Aucun de ses concerts n’était banal ou juste similaire aux autres. On se souvient du dernier auquel on a assisté, au Nice Jazz Festival, avec une émotion particulière. Jusqu’au bout, l’homme aura été digne et magnifique. Ce coffret de l’intégrale live l’est aussi. Les concerts de 85 et 92 sont pour la première fois présentés en versions intégrales sur 2 CD pour chacun. Le Live Tour 85 a été entièrement remixé avec de nouvelles versions des chansons et le Novice Tour 92 est augmenté de pas moins de 12 titres. Les Dimanches à l’Élysée, de l’ultime tournée, sont juste restitués dans leur perfection (voir vidéo du concert de l’Olympia). Absolument indispensable.
Moha La Squale : Bendero
Le rap français a un nouveau patron: Mohamed Bellahmed, alias Moha La Squale, 23 ans, originaire de Créteil (94) élevé dans le XXe à Paris, quartier de La Banane, où il vit toujours. Tombé deux fois (drogue), relevé trois, il intègre le cours Florent et tourne en Belgique dans un court métrage de Barney Frydman (La Graine). C’est là qu’il commence à écrire ses premiers raps sous pseudo emprunté au film culte de Fabrice Genestal (La Squale 2000). Encouragé par ses copains, Moha diffuse ses premiers titres sur Youtube a l’été 2017. Succès immédiat. Le gars a tout: le son, la voix, la gueule, le look, l’attitude, le flow, la tchatche, le vocabulaire et (surtout) la street cred. Depuis NTM, on n’avait peut-être rien entendu d’aussi carré. Signé chez Elektra, l’album est tombé dans les bacs le 25 mai. 33 titres impeccables, pleins de bruit et de fureur. Des mots qui claquent, des images qui marquent: rien à jeter. Meet the new boss !
Hyphen Hyphen : HH
(Photo Manu Fauque)
Annoncé par l’ahurissant single « Like Boyz« , qui envoie Rihanna et Beyoncé à la maison de retraite, le deuxième album d’Hyphen Hyphen confirme le potentiel explosif du groupe Niçois, révélation scène aux Victoires de la musique. Même réduits à un trio, après le départ du batteur Zac, Hyphen Hyphen continue d’envoyer du bois comme jamais. Le son est encore plus monstrueux que sur le premier album, la voix de Santa est plus puissante et les textes ont beau être plus personnels et intimistes , ils claquent toujours autant. Coming out à peine déguisé, « Like Boyz » en est le parfait exemple et balance les porcs à la poubelle sur une tournerie techno imparable. « Take My Hand« , qui ouvre l’album, annonce tout de suite la couleur : big beat à donf’. Santa , Adam et Line ont tout fait tout seul, y compris le clip de « Like Boyz« . Ils ont rudement bien fait ! Le disque est un brûlot qui va mettre le feu aux dance floors et à toutes les scènes où Hyphen Hyphen le jouera cet été, comme au Midem le 6 juin.
Shame : Songs of Praise
L’année rock commence fort avec un excellent nouvel album de Black Rebel Motorcycle Club et celui de ce quintet de Brixton (Angleterre), Shame, découvert cet été en festival, où ils ont mis le feu partout. Bonne nouvelle : les Shame confirment avec ce premier album qu’ils ne sont pas qu’un bon groupe de scène. Les dix chansons de Songs of Praise s’écoutent à la file et en boucle. Ce qui frappe en premier, en plus de l’énergie phénoménale que déploie le groupe en studio comme en scène, c’est la voix du chanteur, Charlie Steen, qui rappelle celle du jeune Joe Strummer ou celle du regretté Malcolm Owen des Ruts. Songs of Praise fait d’ailleurs un peu le même effet que l’album des Ruts, The Crack, lorsqu’il est sorti en 1979 : une déflagration !
Interview: Charlotte Gainsbourg
C’est une Charlotte Gainsbourg transfigurée que l’on découvre dans La Promesse de l’aube, d’Eric Barbier.Elle y joue Mina Kacew, la mère de Romain Gary, de ses 30 ans à sa mort. Un premier rôle de vieille dame qui a nécessité un grimage conséquent, mais qui a beaucoup amusé la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Amusé et ému, car l’actrice a retrouvé en cette mère «extra-ordinaire» beaucoup de traits communs avec sa grand-mère paternelle, émigrée Russe. Sans maquillage, ni postiches, les cheveux noirs et coupés court, la voix bien assurée et le sourire aux lèvres, c’est une Charlotte visiblement bien dans ses baskets qui a répondu à nos questions sur le film et sur son magnifique nouvel album Rest, dans lequel elle chante pour la première fois en français. Des textes qu’elle a écrit elle même et qui parlent de son père, de sa sœur décédée et d’elle même, comme elle ne l’avait jamais fait…
Vous vous imaginiez jouer un jour le rôle de la mère de Romain Gary?
Ah, ça non! (rires).D’autant qu’étrangement je n’ai pas lu le livre pendant ma scolarité alors que mes enfants oui. Comme Yvan (Attal son mari N.D.L.R) avait reçu l’intégrale Gary pour son anniversaire je m’apprêtais justement à le faire quand Eric Barbier m’a proposé le rôle. Du coup, j’ai découvert l’histoire avec le scénario.
Le contexte résonnait sans doute avec votre propre histoire familiale…
Absolument. Mes grands parents ont émigré de Russie à peu près à la même époque et Mina m’a immédiatement évoqué ma grand mère, son accent à couper au couteau et sa dévotion pour son fils, mon père. Le cliché de la mère juive, archi-possessive, je connais bien.Je pouvais m’appuyer dessus pour composer le rôle
Avez-vous également reconnu quelque chose de vous en elle?
J’espère ne pas être aussi monstrueuse avec mes enfants (rires).Mais évidemment que le côté excessif de cet amour absolu me parle. Comme il parle à toutes les mères j’imagine. J’ai beaucoup de mal à la juger. Eric me poussait à la rendre monstrueuse mais pour moi elle est aimable et charmante. J’aime ses excès. C’était une époque difficile, elle n’avait pas beaucoup de choix. C’est une femme qui lutte et qui fait des choix de survie.
Cet amour de la culture française qu’elle manifeste, ça vous parle aussi ?
Oui c’était très fort aussi dans ma famille. Mon père m’a transmis ça. J’essaie de le faire avec mes enfants aussi mêle si ce n’est pas pareil aujourd’hui
Pas évident en vivant à New York…
Je suis parti après la mort de ma soeur, j’en avais besoin. Je ne sais pas combien de temps j’y resterai. Je m’y sens bien, mais c’est pas ma ville, ni mon pays. Je ne me sens pas chez moi. Je ne vis d’ailleurs pas différemment d’ici. Je me sens juste plus concentrée sur mon travail.
Vous avez été une enfant star. Vous êtes vous sentie poussée par votre famille comme Gary l’a été par sa mère?
Quand je voyais le petit garçon qui joue Gary enfant, je me revoyais à son âge sur les plateaux où j’accompagnais ma mère et mon père, puis un peu plus tard pour mes propres films. Je me souvenais du plaisir extrême que je ressentais alors de faire partie d’une équipe et de la tristesse au moment de la quitter quand c’était fini. La différence avec Gary, c’est qu’on ne m’a rien imposé. Mes parents ne vivaient pas le succès par procuration, puisqu’ils étaient déjà célèbres tous les deux. J’ai eu envie d’être comme eux en les voyant faire, mais j’ai toujours été décisionnaire. Ils ne m’ont jamais poussée.
Et vous, comment faites vous avec vos enfants ?
J’ai fait pareil que mes parents. Je les ai emmenés partout avec moi. Ils ont pu voir le bonheur que c’est et combien c’est intense aussi. J’ai aimé les faire tourner dans mon dernier clip. Je ne sais pas ce que je leur ai transmis. Un peu plus de souffrance que mes parents avec moi, je suppose ? Je ne leur montre pas les films de Lars (Von Trier NDLR), mais celui -là oui. Mon fils Ben a pleuré en le voyant. J’étais touchée.
Quel effet ça fait de se voir dans le corps d’une vieille femme?
Malgré les 3 heures de maquillage et la prothèse de corps, je crois que je n’ai jamais éprouvé autant de plaisir à jouer un personnage. D’habitude, j’ai l’impression de jouer une version de moi, plus ou moins proche. Là, j’ai joué le déguisement, l’accent polonais, la voix forte, le faux corps, le vieillissement… Ca m’a beaucoup amusée. Sauf, que je ressemble plus à mon père qu’à ma mère! En vieillissant, je prends ses traits. Heureusement, quand j’enlevais le masque, je rajeunissais d’un coup de 30 ans et ça, c’est magique!
Comment avez vous travaillé votre voix ? Elle est beaucoup plus puissante qu’on ne croyait…
Le polonais a aidé. On a commencé le tournage par la scène où je gueule en polonais dans la cour. C’était celle que je redoutais le plus ! A partir de là il n’y avait plus de filtre. Pas de timidité, ni de douceur à avoir. Le volume et le débit m’ont paru naturels. C’est la magie du cinéma…
Vous avez réouvert la maison de votre père pour le clip de « Lying With You ». Où en êtes vous de vos projets de musée Gainsbourg ?
Ça m’a redonné envie d’y travailler alors que j’avais abandonné l’idée depuis des années. Mais je n’ai toujours pas trouvé la bonne solution. C’est compliqué. Je cherche…
La prochaine fois qu’on vous voit, c’est sur scène pour défendre le nouvel album ?
Oui, on va commencer par quelques concerts en février-mars puis sans doute les festivals d’été. Je vais sortir un livre de dessins et de photos sur le makin of de l’album et on va sans doute organiser quelques expos-concerts pour le présenter dans les grandes capitales. Il me tarde car je suis très fière de ce disque.