Shame : Songs of Praise
L’année rock commence fort avec un excellent nouvel album de Black Rebel Motorcycle Club et celui de ce quintet de Brixton (Angleterre), Shame, découvert cet été en festival, où ils ont mis le feu partout. Bonne nouvelle : les Shame confirment avec ce premier album qu’ils ne sont pas qu’un bon groupe de scène. Les dix chansons de Songs of Praise s’écoutent à la file et en boucle. Ce qui frappe en premier, en plus de l’énergie phénoménale que déploie le groupe en studio comme en scène, c’est la voix du chanteur, Charlie Steen, qui rappelle celle du jeune Joe Strummer ou celle du regretté Malcolm Owen des Ruts. Songs of Praise fait d’ailleurs un peu le même effet que l’album des Ruts, The Crack, lorsqu’il est sorti en 1979 : une déflagration !
Interview: Charlotte Gainsbourg
C’est une Charlotte Gainsbourg transfigurée que l’on découvre dans La Promesse de l’aube, d’Eric Barbier.Elle y joue Mina Kacew, la mère de Romain Gary, de ses 30 ans à sa mort. Un premier rôle de vieille dame qui a nécessité un grimage conséquent, mais qui a beaucoup amusé la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Amusé et ému, car l’actrice a retrouvé en cette mère «extra-ordinaire» beaucoup de traits communs avec sa grand-mère paternelle, émigrée Russe. Sans maquillage, ni postiches, les cheveux noirs et coupés court, la voix bien assurée et le sourire aux lèvres, c’est une Charlotte visiblement bien dans ses baskets qui a répondu à nos questions sur le film et sur son magnifique nouvel album Rest, dans lequel elle chante pour la première fois en français. Des textes qu’elle a écrit elle même et qui parlent de son père, de sa sœur décédée et d’elle même, comme elle ne l’avait jamais fait…
Vous vous imaginiez jouer un jour le rôle de la mère de Romain Gary?
Ah, ça non! (rires).D’autant qu’étrangement je n’ai pas lu le livre pendant ma scolarité alors que mes enfants oui. Comme Yvan (Attal son mari N.D.L.R) avait reçu l’intégrale Gary pour son anniversaire je m’apprêtais justement à le faire quand Eric Barbier m’a proposé le rôle. Du coup, j’ai découvert l’histoire avec le scénario.
Le contexte résonnait sans doute avec votre propre histoire familiale…
Absolument. Mes grands parents ont émigré de Russie à peu près à la même époque et Mina m’a immédiatement évoqué ma grand mère, son accent à couper au couteau et sa dévotion pour son fils, mon père. Le cliché de la mère juive, archi-possessive, je connais bien.Je pouvais m’appuyer dessus pour composer le rôle
Avez-vous également reconnu quelque chose de vous en elle?
J’espère ne pas être aussi monstrueuse avec mes enfants (rires).Mais évidemment que le côté excessif de cet amour absolu me parle. Comme il parle à toutes les mères j’imagine. J’ai beaucoup de mal à la juger. Eric me poussait à la rendre monstrueuse mais pour moi elle est aimable et charmante. J’aime ses excès. C’était une époque difficile, elle n’avait pas beaucoup de choix. C’est une femme qui lutte et qui fait des choix de survie.
Cet amour de la culture française qu’elle manifeste, ça vous parle aussi ?
Oui c’était très fort aussi dans ma famille. Mon père m’a transmis ça. J’essaie de le faire avec mes enfants aussi mêle si ce n’est pas pareil aujourd’hui
Pas évident en vivant à New York…
Je suis parti après la mort de ma soeur, j’en avais besoin. Je ne sais pas combien de temps j’y resterai. Je m’y sens bien, mais c’est pas ma ville, ni mon pays. Je ne me sens pas chez moi. Je ne vis d’ailleurs pas différemment d’ici. Je me sens juste plus concentrée sur mon travail.
Vous avez été une enfant star. Vous êtes vous sentie poussée par votre famille comme Gary l’a été par sa mère?
Quand je voyais le petit garçon qui joue Gary enfant, je me revoyais à son âge sur les plateaux où j’accompagnais ma mère et mon père, puis un peu plus tard pour mes propres films. Je me souvenais du plaisir extrême que je ressentais alors de faire partie d’une équipe et de la tristesse au moment de la quitter quand c’était fini. La différence avec Gary, c’est qu’on ne m’a rien imposé. Mes parents ne vivaient pas le succès par procuration, puisqu’ils étaient déjà célèbres tous les deux. J’ai eu envie d’être comme eux en les voyant faire, mais j’ai toujours été décisionnaire. Ils ne m’ont jamais poussée.
Et vous, comment faites vous avec vos enfants ?
J’ai fait pareil que mes parents. Je les ai emmenés partout avec moi. Ils ont pu voir le bonheur que c’est et combien c’est intense aussi. J’ai aimé les faire tourner dans mon dernier clip. Je ne sais pas ce que je leur ai transmis. Un peu plus de souffrance que mes parents avec moi, je suppose ? Je ne leur montre pas les films de Lars (Von Trier NDLR), mais celui -là oui. Mon fils Ben a pleuré en le voyant. J’étais touchée.
Quel effet ça fait de se voir dans le corps d’une vieille femme?
Malgré les 3 heures de maquillage et la prothèse de corps, je crois que je n’ai jamais éprouvé autant de plaisir à jouer un personnage. D’habitude, j’ai l’impression de jouer une version de moi, plus ou moins proche. Là, j’ai joué le déguisement, l’accent polonais, la voix forte, le faux corps, le vieillissement… Ca m’a beaucoup amusée. Sauf, que je ressemble plus à mon père qu’à ma mère! En vieillissant, je prends ses traits. Heureusement, quand j’enlevais le masque, je rajeunissais d’un coup de 30 ans et ça, c’est magique!
Comment avez vous travaillé votre voix ? Elle est beaucoup plus puissante qu’on ne croyait…
Le polonais a aidé. On a commencé le tournage par la scène où je gueule en polonais dans la cour. C’était celle que je redoutais le plus ! A partir de là il n’y avait plus de filtre. Pas de timidité, ni de douceur à avoir. Le volume et le débit m’ont paru naturels. C’est la magie du cinéma…
Vous avez réouvert la maison de votre père pour le clip de « Lying With You ». Où en êtes vous de vos projets de musée Gainsbourg ?
Ça m’a redonné envie d’y travailler alors que j’avais abandonné l’idée depuis des années. Mais je n’ai toujours pas trouvé la bonne solution. C’est compliqué. Je cherche…
La prochaine fois qu’on vous voit, c’est sur scène pour défendre le nouvel album ?
Oui, on va commencer par quelques concerts en février-mars puis sans doute les festivals d’été. Je vais sortir un livre de dessins et de photos sur le makin of de l’album et on va sans doute organiser quelques expos-concerts pour le présenter dans les grandes capitales. Il me tarde car je suis très fière de ce disque.
Her
De la soul française ? Pour paraphraser Lennon, ce serait un peu comme du vin américain, non ? Ben non, justement. La preuve par Her. A la base, un duo formé, du côté de Dinard, par Victor Solf et Simon Carpentier. Mixtape, EP, compile, festivals, soutien de Pharrell Williams… Grosse hype underground. 2017 : exit Carpentier, mangé par un crabe. Restent Victor Solf et quelques maquettes. Enfin, ce disque. 14 chansons: toutes magnifiques. « We Choose » en intro déchirante comme un adieu. « On & On » à suivre avec Roméo Elvis en feat. Arrivé à « Five Minutes », chef d’oeuvre de soul minimaliste , on est déjà sorti du magasin en courant avec le disque sous le bras. Impossible, si on ne le sait pas, de deviner que ce groupe est français. Eut-il été anglo-saxon, il défonçait tout, partout. Regardez la vidéo, écoutez le son, cliquez sur acheter. Pas sûr que vous trouviez meilleur investissement sur le marché cette année.
Jack White : Boarding House Reach
Il ne faut certainement pas attendre de Jack White un classique album de chansons. Il n’en faisait déjà pas du temps des White Stripes, ce n’est pas aujourd’hui, après les épisodes Raconteurs et Dead Weather, qu’il va s’y mettre. Propriétaire de son label et de son studio d’enregistrement, le gars est aujourd’hui dans la position d’un Prince rock, capable d’enregistrer et de publier ce qui lui plait, quand ça lui plait, au kilomètre. On ne s’étonnera donc pas si son nouvel album paraît sorti d’un laboratoire d’expérimentations rock dans lequel un savant fou aurait essayé de croiser rock indé, Led Zeppelin, rock FM, country rock et Queen. Le son est ENORME, les guitares sont bidouillées dans tous les sens, il y a du synthé partout et presqu’aucune chanson au format classique. Pourtant, le truc n’est jamais rebutant, ni ennuyeux. Ce type est tellement doué que, même totalement déconstruites, ses chansons arrivent encore à vous accrocher l’oreille. On est prêt à parier que quand on aura épuisé le plaisir de la simple découverte, on les aimera pour de bon et qu’en concert elles sonneront du feu de Dieu.
Albert Hammond Jr : Francis Trouble
Pendant que son chanteur fait le malin avec ses Voidz, Albert Hammond Jr entretient la flamme vacillante de nos chers Strokes, sauveurs du rock à guitare à l’aube des années 2000. Le quatrième album solo du guitariste, passé par la case rehab, est son meilleur à ce jour. Truffé de guitares sautillantes et de mélodies accrocheuses, il nous renvoie aux belles heures de Room on Fire et déroule ses chansons comme à la parade. Il ne manque que la voix de Julian Casablancas pour que ce soit le meilleur album des Strokes depuis des lustres.
Interview : Robert Guédiguian
Avec La Villa, Robert Guédiguian revient à la source de son cinéma, réinstallant sa troupe (Ariane Acaride, Jean, Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet…) dans la calanque de Méjean, où il tournait en 1985 une scène de Ki Lo Sa? reprise dans le film… L’occasion de parler du temps qui passe, mais aussi du présent, avec l’irruption de réfugiés. Et peut-être d’avenir, puisque ces migrants sont des enfants. Tous sujets dont le réalisateur Marseillais de 63 ans, ragaillardi par son passage au jury de Cannes (aux côtés de Cate Blanchett, Denis Villeneuve et Andrey Zvyagintsev), nous a entretenu avec passion autour d’un excellent déjeuner parisien…
La calanque de Mejean c’est un peu, avec l’Estaque, la matrice de votre cinéma, non?
Oui, parce qu’elle se situe du côté des quartiers populaires, à vingt minutes de l’Estaque, sur la Côte Bleue. Ce n’est pas un endroit touristique comme celles de Cassis, par exemple. J’y suis venu pour la première fois en 1968, c’était presque inaccessible et ça n’a pas changé depuis.L’hiver c’est désert. Du coup, on s’en est servi comme d’un studio.On a fermé l’accès, loué toutes les maisons, repeint les façades, viré quelques bateaux, tiré des câbles et emménagé quatre décors intérieurs où il suffisait d’allumer la lumière pour pouvoir tourner à tout moment.On a habité sur place, techniciens et acteurs réunis, pendant toute la durée du tournage. On avait une cantine, un cuistot, un bateau pour aller pêcher du poisson… Tous les poissons que vous voyez dans le film, on les a mangés. C’était génial.Alors qu’on tournait en extérieurs, on avait l’impression de faire un film en studio!
Cette calanque n’est pas qu’un décor…
Non, bien sûr.On ne peut pas faire un film aujourd’hui au bord de la Méditerranée sans parler de la question des réfugiés.Tous les jours, des gens se noient dans cette mer en venant chercher refuge chez nous.Je me moque que ce soit pour des raisons climatiques, économiques, ou à cause d’une guerre.La question centrale aujourd’hui, c’est le partage. On vit dans un seul monde.Même dans cette petite calanque perdue, en plein hiver, cela a des conséquences visibles…
Trois générations s’y retrouvent.Une renonce, l’autre retrouve une raison de vivre, la dernière tente des expériences nouvelles…
Pour les parents, c’est trop tard.Ils n’ont plus le temps de trouver une cause qui les motive à continuer.Ils préfèrent mourir deboutet disparaître avec leur monde. Angèle, Joseph et Armand, eux, peuvent encore redonner du sens à leur vie avec ces enfants qui arrivent.Quant aux plus jeunes, incarnés par Anais Demoustiers et Robinson Stevenin, ils sont l’occasion de parler d’amours transgénérationnels…
On songe évidemment à La Cerisaie de Tchekhov…
Sauf qu’à la fin, La Villa n’est pas vendue! Avec ces trois petits qui arrivent, peut-être la calanque va-t-elle revivre? Angèle, Joseph et Armand vont rester là avec ces trois enfants à élever, et ils vont essayer de faire tenir le restaurant, la colline et leurs idées du monde…
Et Joseph va raconter l’histoire puisque s’il ne le fait pas «personne ne le fera à sa place». C’est vous Joseph?
C’est ce que m’a dit Darroussin en lisant le scénario: «Donc, je te joue»Mais comme d’habitude, je suis dans tous les personnages. Armand (Gérard Meylan), c’est le pilier, celui qui continue à tenir le restaurant ouvrier de son père, à s’accrocher à l’idée de partage, de transmission… C’est aussi ce que je fais avec mes films. Raconter l’Histoire, c’est important.On vit dans le présent, l’instantanéité… Mais le passé importe aussi. Il ne faut pas l’oublier.
Therapie Taxi: Hit Sale
Depuis France Fall et ses «Sucettes à l’anis» et Lio et son «Banana Split», on n’a pas souvenir d’avoir écouté une pop française aussi sexy et délurée que celle du trio parisien Therapie Taxi. Au début, on croit le titre de l’album en anglais (qu’on traduirait par : «Succès à vendre»). Jusqu’à ce qu’on tombe sur la plage 6 («Salope») et ses paroles hyper explicites. Il s’agit donc bien de hits «sales», du contraire de «propres». Éloignez les chastes oreilles ! Therapie Taxi vient nous le rappeller: les hits pop, c’est comme l’amour: c’est sale… Surtout si c’est bien fait !
The Doors : Live at the Isle of Wight
Août 1970: enferrés dans un procès inique après la soi disant exhibition de Jim Morrison en concert à Miami, les Doors acceptent de jouer au Festival de l’île de Wight pour fuir les États-Unis. L’ambiance n’est pas au top quand le groupe monte sur scène à 2 heures du matin. Grossi, barbu et déprimé, Morrison s’apprête à annoncer aux autres qu’il quitte le groupe pour s’exiler à Paris (et y mourir). Sur scène, il n’est déjà plus que l’ombre du Lizard King. Immobile, il se contente de chanter les yeux fermés, déjà comme ailleurs. Derrière lui, les Doors mettent la gomme pour essayer de le faire réagir mais rien n’y fait. Morrison quitte la scène comme il y est monté: sans un mot pour le public. Sur le coup, la prestation déçoit. Surtout comparée à celle des Who qui leur succèdent et mettent le feu avec l’opéra rock Tommy. Mais presqu’un demi siècle plus tard, on redécouvre le film du concert et force est de constater qu’il est excellent. Le groupe joue le feu, le son est bon, l’image est nette et Jim chante formidablement bien. Bien que mal éclairé (un spot rouge pour tout light show!), ce live à l’Île de Wight n’a qu’un défaut: il est trop court.
Jimi Hendrix : Both Sides of the Sky
(Photo Mark Sharratt)
Mort depuis presqu’un demi-siècle (18 septembre 1970) Jimi Hendrix continue à publier des albums. Une postérité que peuvent lui envier Michael Jackson , Prince et David Bowie. On doute pourtant qu’aucun des trois réussisse à avoir une telle longévité posthume. C’est que le guitariste gaucher a passé les dernières années de sa vie sur scène et en studio et a laissé des kilomètres d’enregistrements qui ont d’abord fait le bonheur des bootleggers avant de faire la fortune de sa légation. Il semble toutefois qu’on arrive au bout du bout de ce qui était publiable (moyennant moult bidouillages) avec ce « nouvel album », troisième d’une trilogie supervisée par son ingénieur du son historique, Eddie Kramer, qui a indiqué que ce serait le dernier (y a qu’à croire…).
Les titres exploités sur Both Sides of the Sky proviennent pour certains (« Mannish Boy », « Lover Man ») des répétitions du Band of Gypsies, trio éphémère formé par le guitariste, Billy Cox à la basse et Buddy Miles à la batterie, auquel on doit le live éponyme. Les autres sont issus de jams avec différents invités, comme Hendrix les affectionnait. C’est ainsi que Stephen Stills joue de l’orgue et chante sur deux titres (« $20 Fine » et « Woodstock »), Lonnie Youngblood joue du sax sur « Georgia Blues » et Johnny Winter tricote en duo avec le maître sur « The Things I Used to Do ». Cela donne un album moins homogène que ses deux prédécesseurs (Valleys of Neptune et People, Hell and Angels) mais tout de même encore diablement intéressant. Trois titres au moins méritent qu’on investisse son bon argent dans la galette : « Mannish Boy » qui fait l’ouverture de l’album, « Hear My train a Comin » dans une version mash-up de « Voodoo Chile » et la ballade improvisée « Send My Love To Linda » qui se termine par un solo de wha-wha assez phénoménal.
Eddy de Pretto : Cure
Incarnation de la nouvelle chanson française qui carbure au hip hop, Eddy de Pretto a mis tout le monde à genou avec son premier EP (Kid) et ses deux titres phares, « Kid » et « Fête de trop« . Deux hits puissants et convulsifs, portés par des textes violemment introspectifs, des beats techno et un flow rap. Le premier album de ce gamin de Créteil à l’homosexualité affichée, déjà auréolé d’une Victoire de la musique (découverte scène), était le plus attendu de ce début d’année. Il est sorti le 3 mars et la première impression est mitigée. Il y a de bonnes chansons ( « Rue de Moscou », « Normal » , « Jimmy », « Genre »… ), mais rien d’aussi fort que les 4 titres de Kid, que l’on retrouve d’ailleurs in extenso sur le disque. A la première écoute, tout sonne un peu pareil (du Nougaro 3.0 ?). Seule « Mamère » accroche immédiatement l’oreille, comme un pendant féminin du « Papaouté » de Stromae. Difficile de dire si on fait juste la fine bouche, ou si on va se lasser très vite des chansons du gars Eddy. Les concerts d’été seront décisifs: il sera au Mas des Escaravatiers le 19 juillet et à Nice le 23 août pour le festival Crossover.
Tim Dup : Mélancolie heureuse
Depuis Raphaël, aucun jeune auteur-compositeur interprète n’avait fait aussi forte impression que Tim Dup avec son premier album, Mélancolie Heureuse. Un titre qui définit assez bien l’atmosphère de ses chansons, dont les textes empreints de mélancolie, voire d’une certaine noirceur, sont éclairés par des instrumentaux piano-electro plutôt enlevés. Au-delà de la musique, bien dans l’air du temps, la qualité des textes et de l’interprétation impressionne pour un si jeune artiste (il vient d’avoir 21 ans), tout juste débutant et déjà en pleine possession de son talent. Plus que prometteur, l’album s’écoute en entier, sans le moindre déchet, et impose d’emblée Timothée comme un artiste à suivre. On l’a appelé pour faire connaissance…
La première chose qu’on a envie de vous demander après avoir écouté votre disque, c’est si ça va?
Oui, très bien, merci! (rires).J’ai l’habitude.Mes copains me le demandaient déjà quand je leur faisais écouter mes chansons. Il fallait que je leur explique la différence entre la mélancolie et la tristesse. Je peux effectivement être mélancolique, mais je ne suis pas triste.Dans la vie, je peux même être assez enjoué.L’oxymore et la dualité sont très présents dans mes chansons.Obscurité et lumière y cohabitent, j’espère harmonieusement. D’où le titre du disque: Mélancolie heureuse…
De quel milieu venez-vous?
J’ai grandi en région parisienne avec une mère institutrice et un père pharmacien passionné de musique.Il y avait toujours de la musique chez moi, de la pop anglo-saxonne comme de la chanson française.Mes parents m’ont emmené voir mon premier concert à 7-8 ans: c’était Thomas Fersen.J’ai commencé le piano à peu près à cette époque-là et j’ai joué dans plusieurs groupes au collège et au lycée. J’ai commencé à écrire des chansons et à les chanter dans les bars à Paris, après le bac.C’est là qu’on m’a découvert, aux Trois Baudets, où je passais. Après, c’est allé très vite.J’ai dû abandonner mes études au Celsa (une école d’attachés de presse N.D.L.R.) pour me consacrer à l’écriture et à l’enregistrement du disque.
En l’écoutant, la première fois, on s’est demandé si ce n’était pas un projet solo du chanteur de Fauve…
C’est drôle, parce qu’on est copains avec Quentin.On a les mêmes références: celles d’une génération qui a grandi avec la culture hip-hop. L’urgence, les textes fleuves, ça vient sans doute de là.Généralement, on me rapproche plutôt de Raphaël, qu’on écoutait beaucoup chez moi.Je comprends moins quand on me parle de Vianney.Musicalement, on est très différents…
Vous avez écrit deux chansons pour l’album de Louane
Oui, sa prestation aux Victoires de la Musique m’avait touché.C’est une grande interprète et sa sincérité m’inspire…
Vous auriez pu passer par un télé-crochet vous aussi?
Je me suis présenté au précasting de la Nouvelle Star.Ils avaient bien aimé «Les Ourses polaires» et je devais chanter devant le jury, mais je suis parti faire mon Erasmus en Angleterre. Je ne suis pas certain que j’aurais continué de toute manière…
Votre dernier single s’intitule «Une envie méchante». De quoi avez-vous le plus envie aujourd’hui?
De jouer mes chansons en live.J’espère venir dans le Sud. J’ai une tante qui habite Nice et de la famille en Corse, à Bonifacio. Ce serait l’occasion de les voir
Liminanas: Shadow People
Deuxième album des Liminanas pour le label Because, Shadow People renoue avec la veine Velveto-gainsbourienne du duo perpignanais. Marie et Lionel Liminana ont profité de leur notoriété internationale pour enrôler Anton Newcombe (de Brian Jonestown Massacre) et Peter Hook (de Joy Division) sur deux titres. Mais aussi Bertrand Belin et Emmanuelle Seigner, qui fait des infidélités à Ultra Orange pour venir chanter avec eux sur la chanson titre. Plus varié et pop que ces prédécesseurs, Shadow People (les gens de l’ombre) pourrait, ironiquement, permettre aux Liminanas d’en sortir (de l’ombre) et faire enfin connaître dans son pays d’origine ce groupe que le monde nous envie. On avait rencontré Marie et Lionel Liminanas en 2016 au Festival de Cannes, où ils étaient venus faire un set nocturne à la Villa Schweppes et ils nous avaient raconté la genèse du groupe. En 2009, Lionel, disquaire le jour et guitariste la nuit dans divers groupes locaux, enregistre seul, dans sa cave « Avec un Mac, une carte son à 200 euros», les deux premiers titres de ce qui allait devenir les Liminanas. Postées sur MySpace, les deux chansons attirent l’oreille de deux labels de Chicago, spécialisés dans le rock garage, Hozac et Trouble In Mind, qui en demandent d’autres pour presser un EP. Panique à bord : Marie, ex-organisatrice de concerts, rangée des décibels, est sommée de passer à la batterie, façon Meg White ou Moe Tucker, le temps de mettre en boite quelques chansons aux titres rigolos (« Je ne suis pas très drogue », « Votre côté yé-yé m’emmerde », « My Black Sabbath », « Mobylette »). S’en suivent huit ( 8 !) galettes américaines, des tas de concerts, mais toujours pas de maison de disques en France. Il a fallu l’entregent de l’ami et voisin catalan Pascal Comelade, avec lequel ils enregistrent un disque de guitare assez barré (Traité de guitarres triolectiques à l’usage des portugaises ensablées), pour que les Liminanas soient enfin signés chez Because. Pour fêter ça, le label presse en 2015 une anthologie qui regroupe tous les enregistrements «américains». En attendant les nouvelles chansons, qui ne tardent pas à arriver et font l’objet du premier vrai album des Liminanas : Malamore, paru en avril 2016. Un mélange réjouissant de rock sixties, de yé-yé, de Gainsbourg vintage, de garage et de punk, avec des clins d’œil à Ennio Morricone et aux musiques de films italiens. Un album que les Liminanas ont joué sur scène l’an dernier au Grimaldi Forum de Monaco, lors d’une mémorable Thursday Live Session. Ils se produisaient alors à six, avec un chanteur ou une chanteuse puisqu’aucun des deux fondateurs ne ressent le besoin d’occuper le devant de la scène.
The Who: Maximum As & Bs
Contrairement à la plupart de leurs collègues anglais des sixties, les Who étaient plus un groupe à albums qu’à singles. A part «I Can’t Explain» et «My Generation», leurs plus grands succès sont des extraits de Tommy , Quadrophenia ou Who’s Next. En trichant un peu, Polydor a quand même trouvé dans leur catalogue de quoi compiler 5 CDs de chansons, sorties ou non en 45 tours, les deux derniers étant des live et des extraits de BO de films. Cela fait quand même un coffret très sympa avec de jolis mini pochettes cartonnées à s’offrir pour Noël.
U2 : Songs of Experience
Difficile de demander à un groupe qui existe depuis 1976 et est passé par tous les stades de la célébrité, de dispenser encore les mêmes émotions qu’à ses débuts. Qu’attendre alors d’un nouveau U2 en 2017, sinon une voix et un son familiers, quelques bonnes chansons à écouter en allant bosser, une présence rassurante quand tellement de choses disparaissent ? C’est exactement ce que délivrent ces bien nommées « Chansons de l’expérience ». Plutôt meilleur que son prédécesseur, Songs of Expérience s’écoute avec plaisir. La dernière tournée, loin du gigantisme des précédentes, a, semble-t-il, redonné aux musiciens le goût de jouer simplement ensemble. Certaines chansons ont une fraîcheur qu’on n’avait plus entendue chez U2 depuis longtemps. Pas de tube, pas de révolution sonore (malgré un feat anecdotique de Kendrick Lamar sur « Get Out Your Own Way »), rien de crucial, rien d’urgent. Juste de bonnes chansons, bien construites, bien écrites, bien chantées et bien jouées. Un disque de U2 presque humble. Tout arrive.
Bertrand Cantat: Amor Fati
L’avantage du streaming sur abonnement, c’est qu’on n’a pas à se demander si c’est bien ou pas d’acheter le disque d’un gars qui a massacré sa nana à coups de poings. On peut juste l’écouter et se faire une idée sans avoir l’impression de le sponsoriser. On a trop aimé Noir Désir pour faire une croix définitive sur Bertrand Cantat, même si on préférerait, en ce qui nous concerne, qu’il continue à produire sous un nom de groupe plutôt que sous le sien. Question de décence et de respect pour ceux que la mort de Marie Trintignant a plongé dans l’affliction. Ok, et à part ça il est comment ce disque ? Meilleur que celui de Détroit, qui ne faisait que reprendre l’histoire au Noir Désir de Des Visages, des figures, en moins crucial. Les deux premiers titres « Ami Nuit » et « Amor Fati » ouvrent de nouvelles voies musicales, quelque part entre Ferré, Orelsan et Erik Truffaz (dont la trompette déchire le titre d’ouverture). Après ces deux titres géniaux (on pèse ses mots), le reste de l’album paraît évidemment plus faible, avec même des facilités un peu indignes côté textes (« Silicon Valley », « Les Pluies diluviennes »). Le premier single (« L’Angleterre ») n’est pas mauvais en soi, mais il sonne différent du reste du disque et contribue à le rendre bancal. Même s’il ressemble à un mix acoustique de « L’Homme pressé » et d’ « Un jour en France » (666.667 Club) , « Aujourd’hui » aurait fait un bien meilleur single. Et il reste encore assez de très bonnes chansons (« Excuse My French », « J’attendrai », « Anthracitéor » , « Aujourd’hui » , « Chuis con », « Maybe I ») pour situer l’album très au dessus de la moyenne de la production francophone du moment.