Dans Nos Batailles, son cinquantième film (déjà !), Romain Duris rompt avec l’image de séducteur « adulescent » qui a fait son succès depuis L’Auberge Espagnole. Il y incarne un chef d’équipe et délégué syndical qui a sacrifié sa vie de famille à son travail et se prend la réalité en pleine face lorsque sa femme disparaît sans prévenir, le laissant se débrouiller avec deux enfants en bas âge. Un rôle mature sur fond social qui lui vaut une nouvelle nomination pour le César du meilleur acteur. En attendant de le découvrir en janvier en Vernon Subutex, dans la série de Canal + adaptée des romans de Virginie Despentes, il nous parle de son travail, avec ce mélange de naturel et de réserve qui le fait se refermer dès qu’on tente une question trop personnelle…
Comment choisissez-vous vos rôles ?
A l’instinct ! J’analyse après. Quel genre de film c’est, qui le réalise… La première réaction est souvent la bonne, mais parfois je m’emballe. Il m’arrive de revoir mon enthousiasme sérieusement à la baisse à la deuxième lecture ! (rires). C’est pour ça que je prends toujours un temps de réflexion avant de signer…
Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter ce rôle-là ?
J’avais vu Keeper, le premier film de Guillaume Senez et je l’avais beaucoup aimé. Le scénario m’a fait un peu penser à Kramer contre Kramer qui est un de mes films préférés. Et puis il y avait l’aspect social, le travail en usine, la boulot syndical. Toutes choses que je n’ai jamais connu puisque j’ai eu la chance de pouvoir faire ce métier très jeune… On a tourné dans une vraie usine. Les rapports sociaux y sont très différents de ceux qu’on montre dans le film mais j’ai trouvé ça passionnant. C’est une des raisons pour lesquelles j’adore ce métier: pouvoir découvrir des univers très éloignés du sien…
Le fait de tourner sans dialogues ne vous faisait pas peur ?
Au contraire ! Ça m’excitait beaucoup, je n’avais encore jamais fait ça. Guillaume a une méthode de tournage très particulière : il fournit un scénario d’une trentaine de pages, sans dialogues, juste avec les situations. Et puis sur le tournage, il nous mène doucement vers où il veut aller. Ce n’est pas tout à fait de l’improvisation, puisque tous les dialogues sont écrits et qu’on est dirigés. Ce ne sont pas des répétitions non plus puisqu’il filme tout et peut retenir la première prise comme la dernière. C’est juste une manière de vous faire jouer la scène avec vos propres mots pour que ça sonne plus juste. Ça vous oblige à vous concentrer encore plus sur le personnage, la scène et les émotions qui s’en dégagent. J’ai adoré ça ! Les autres aussi , je crois…
Le film risque de marquer un tournant dans votre carrière. Le passage à des rôles plus matures…
On a toujours l’impression d’avoir 20 ans, mais le temps passe. Professionnellement parlant, ça ne me dérange pas, au contraire. L’âge ajoute du vécu, de l’épaisseur chez un acteur. J’ai toujours aimé les personnages de la cinquantaine, avec le costume mais toujours la même folie intérieure. Les hommes politiques sont les champions pour cela. J’ai confiance en l’avenir parce qu’à mon âge le répertoire s’élargit, on peut jouer plus de choses. Après, est-ce que les bons rôles continueront d’arriver jusqu’à moi ? Je ne sais pas. Mais ils existent en tout cas…
Il faut dire que jusqu’ici vous avez été plutôt gâté…
Oui, c’est sûr. J’ai la chance d’avoir du travail, de faire deux trois films par an, alors que beaucoup de mes amis rament. Mais on fait un métier très instable. Depuis le début, je me dis toujours que ça peut s’arrêter demain. Je vis toujours avec cette notion-là.
Qu’auriez-vous fait si cela n’avait pas marché pour vous ?
Probablement de la BD ou des illustrations de livres pour enfants. C’est ce à quoi je me préparais en tout cas. Je trouvais que c’était un domaine où on pouvait garder sa liberté. Je suis arrivé au cinéma un peu par hasard. J’en ai d’ailleurs toujours un sentiment d’imposture. Alors , je garde le dessin en plan B. Si demain ça ne marche plus pour moi au cinéma, je ne serai pas sans rien faire. Même si c’est compliqué de gagner sa vie avec le dessin…
Vous dessinez tous les jours ?
Pratiquement oui. J’aimerais bien faire une bande dessinée, mais c’est beaucoup de boulot.
Que faites vous d’autre de votre temps libre ?
Je vais au cinéma ! Quand je suis immergé dans un tournage, je n’arrive pas à voir d’autres films. Mais dès que j’ai fini, je rattrape… Souvent avec du retard. Je viens juste de voir Three Billboards et Moi, Tonya, que j’ai beaucoup aimés. Mais j’évite les festivals et les autres raouts du métier parce que ça peut vite me saouler. Quand je ne tourne pas, j’ai besoin de revenir à la vie concrète.
Votre célébrité ne vous en empêche pas?
Non, je n’ai pas de problème avec ça. C’est une question d’attitude: si vous sortez avec l’air important en toisant les autres vous avez toutes les chances qu’on vous arrête pour vous demander un autographe ou un selfie. Je les fais volontiers quand on me le demande, mais si je peux éviter en dehors des obligations promotionnelles, c’est aussi bien. Pour ça, il suffit généralement de mettre un jean , un blouson et une casquette et de tracer droit devant. C’est rare qu’on fasse attention à vous, si vous ne le recherchez pas.
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